Maroc: les guerres de succession

Les guerres de succession du Maroc (1792-1797) d’après un consul espagnol

marruecos-guerras-sucesión Maroc: les guerres de successionSouvent les diplomates, les négociants ou les prêtres occidentaux affectés au Maroc agissaient comme historiographes et témoins directs de certains événements dans les siècles précédents. C’est le cas du consul d’Espagne à Tanger, Gonzalez Salmon, qui informait régulièrement ses supérieurs et le roi Carlos IV de la lutte pour le trône entre un frère et deux fils du sultan alaouite Yazid, décédé le 14 février 1792. Il s’appuyait sur ses propres sources et correspondants éparpillés dans les différentes parties du pays, surtout dans les ports et les capitales de régions pour informer le gouvernement de son pays.

Le linguiste catalan Mariano Arribas Palau a, dans un essai historique intitulé «L’évolution de la situation politique au Maroc (1792-1797)», inséré dans le bulletin de l’Association Espagnole des Orientalistes (1993), a pu explorer une montagne de lettres et correspondances du consul Gonzalez Salmon avec Madrid pour rapporter des informations de première main sur les luttes fratricides entre trois membres de la famille du sultan Al-Yazid. Il s’agit de son frère Hicham et de ses fils Mouslama et Soulaimane. L’instabilité du Maroc devait durer plusieurs années avant que ne fût proclamé un successeur unique du défunt sultan. Le consul rapportait tout ce qui concerne les développements de la situation dans chacun des trois camps, la réaction des grands seigneurs (pachas et chefs de l’armée), les divisions tribales, les difficultés d’accès aux ports marocains ou les intentions de chaque partie à l’égard de l’Espagne.

Selon les correspondances échangées entre le consul et Madrid, les autorités espagnoles prônaient la précaution, la «stricte neutralité» et la patience dans l’attente de connaître celui qui sortirait «vainqueur» des guerres fratricides.

La lecture des lettres consulaires permet de connaître une des pages les plus sombres de l’histoire du Maroc, des ravages hérités de la mobilisation permanente des armées de chaque camp et les facteurs qui ont retardé la progression du pays alors que l’Europe vivait une phase de prospérité et de découvertes outre-mer.

Le mérite de l’auteur, qui avait défendu une thèse de doctorat en 1961 durant son séjour au Maroc (1944-72), sur le thème «Lettres arabes du Maroc au temps de Moulay Al-Yazid (1790-1792)», introduit son essai avec les précisions suivantes : «le sultan marocain Moulay Al-Yazid mourut le 14 février 1792 suite à des blessures qu’il a eues deux jours auparavant lors de la bataille que ses troupes avaient livrée contre celles de son frère Moulay Hicham, non loin de Marrakech». Dans cette ville, «Moulay Hicham fut proclamé nouveau sultan et comptait sur le soutien des provinces d’Abda et Doukkala. Fin février, étaient arrivées à Tanger des nouvelles relatives à la morte de Moulay Al Yazid et que dans la même bataille avait aussi péri Moulay Hicham. Ceci permit que Moulay Mouslama fût proclamé comme nouveau sultan à Tanger, Tétouan, Larache et Ksar El Kabir».

A la suite de l’annonce à Madrid de «ces événements», le premier ministre espagnol par intérim, le Comte d’Aranda, avait admis les indications du consul Juan Manuel Salomon dans le sens qu’il convenait d’ «observer pour le moment une grande circonspection et impartialité» à l’égard des deux frères qui aspirent au trône. Dans une autre lettre, le consul écrivait : «il me semble qu’il est de la prudence et de la sainte politique que nous restions spectateurs et neutres dans les querelles entre les deux frères, qui, étant l’un et l’autrenos amis, se disputent la Royauté».

Comme conséquence de cette décision, note le consul, il fut interdit aux embarcations espagnoles l’accès aux ports marocains. L’instabilité au Maroc était totale avec des régions divisées entre trois potentiels sultans et qu’aucun d’entre eux n’était encore en mesure d’accepter un consens. «Moulay Hicham dominait le territoire qui s’étend de Souss jusqu’à Azemmour ; Moulay Mouslama a été proclamé à Tanger, Tétouan, Larache et toute la zone nord-occidentale, et, Moulay Soulaimane étendait son autorité sur Fès, Meknès et leurs environs. Il existe aussi de nombreuses régions qui ne reconnaissaient aucun des trois prétendants au trône et se maintenaient neutres dans l’attente que l’un d’entre eux fût admis de caractère général dans tout le pays. Les turbulences augmentaient considérablement», note une lettre en date du 15 mars 1792.

Dans une autre lettre, datée du 20 novembre 1792, le consul signale dans une correspondance adressée au premier ministre par intérim D’Aranda qu’il «n’y avait aucun espoir à très court terme que se terminèrent les confrontations entre les deux princes» bien que le camp de Soulaimane «se raffermît de plus en plus pour la conduite raisonnable et prudente dans la gestion mais pas dans les questions politiques observée jusqu’à présent». A partir de là, commence également à fonctionner la stratégie diplomatique espagnole, comme l’explique le consul par la suite dans la même lettre : «nous devons prendre un peu de temps et recueillir d’autres données auprès de chacune des deux parties pour calculer la probabilité relative à la direction vers laquelle s’incline la balance pour pouvoir entrer avec sécurité dans les négociations avec celui qui réussît à être reconnu et un pacifique maître de cette monarchie».

Dans une correspondance du 13 octobre 1795, le consul rendait compte de la situation de Maslama qui s’était refugié au mausolée d’Abdeslam Benmchich.

Dans une lettre datée du 21 septembre 1795, le consul met en garde contre le fait que «les divisions du pays ne peuvent porter préjudice à l’Espagne si celle-ci observera scrupuleusement l’attitude de spectatrice impartiale vis-à-vis leurs désaccords». Il avance toutefois une stratégie à suivre par son pays : «il faut les laisser maintenant, avec tous les arguments possibles, se massacrer entre eux et se détruire dans l’attente de voir le résultat par notre gouvernement».

En janvier 1797, le consul informe Madrid que Soulaimane comptait «sérieusement conquérir la province de Chaouia et Marrakech pour s’occuper par la suite des pachas Ibn-Nassir et Ibn Al-Aroussi. «S’il réussit de réaliser ces projets, il sera indispensable de changer notre actuel plan à l’égard de ce pays», note dans sa lettre en date du 13 janvier 1797.

Durant les premiers jours de septembre 1797, le consul Antonio Gonzalez Salmon indique dans une lettre, datée à Tanger, que Soulaimane a été proclamé solennellement sultan par les provinces d’Abda et Doukkala, ce qui signifie la fin de la division du Maroc et reconnu comme unique souverain.

Dans une lettre datée du 17 décembre 1797, le même consul informe Madrid que Soulaimane était entré à Marrakech alors que Hicham s’était refugié dans un sanctuaire. Avec ces deux actes, avait pris fin la division du Maroc, déclenchée suite à la mort d’Al-Yazid.

Mohamed Boundi
Periodista, doctor en sociología y ciencias de la comunicación de la universidad Complutense de Madrid. Corresponsal en España desde 1987, es licenciado en periodismo, investigador en ciencias sociales, opinión pública y cultura política. Publicaciones: “Marruecos-España: Heridas sin cicatrizar”, un estudio sobre la imagen de Marruecos y sus instituciones en la opinión pública española en momentos de crisis; “Sin ellas no se mueve el mundo”, un trabajo de terreno sobre la condición de las empleadas de hogar inmigrantes en España; “La mujer marroquí en la Comunidad autónoma de Madrid: convivencia y participación social”.

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