La retraite dorée des ex-présidents du gouvernement, le chômage et la récession en Espagne
Dans l’imaginaire collectif marocain, le retraité idéal en Europe est un ex-travailleur qui meuble sa journée avec des parties de pétanque, de longues randonnées dans la nature ou le visionnage de documentaires animaliers de National Geographic. Il y a une part de vérité dans cette image dont tout retraité rêve au Maroc. Seulement, en Espagne, il y a retraités et retraités. Ceux qui ont trimé plus de 35 ans et survivent actuellement grâce à une pension qui couvre à peine leurs besoins et ceux qui ont été obligés de quitter le pouvoir, tels les anciens présidents du gouvernement espagnol, qui facturent des centaines de milliers d’euros par an. Ceux-ci ne jouent pas à la pétanque, ni accompagnent leurs petits-fils à l’école ni voyagent en Low-Cost. C’est le cas de Felipe Gonzalez, José Maria Aznar et José Luis Rodriguez Zapatero.
En face, les millions de chômeurs continuent de défeuiller la marguerite dans l’espoir d’accéder à un nouvel emploi. Les revenus pharamineux des trois ex-hauts mandataires espagnols invitent à une profonde réflexion sur les contradictions du modèle espagnol. D’une part, le gouvernement explore toutes les recettes possibles en vue de réduire le coût de production, rendre plus souples les procédures de licenciements des travailleurs et renflouer à tout prix les caisses du trésor de l’Etat (en augmentant les impôts et les amendes de circulation routière) pour réduire le déficit public. D’autre part, les ex-présidents du gouvernement battent des records en termes de revenus, gratifications et services. Pendant ce temps, les causes de la récession sont loin d’être totalement éliminées.
Recul du chômage en mai
Une lueur d’espoir a été en outre apportée, mardi, par les statistiques sur le marché du travail qui signalent une chute de 98.265 personnes en chômage en mai par rapport au mois précédent. En dépit de ce résultat, qualifié de «positif» par le gouvernement, l’Espagne compte encore 4.890.928 sans-emploi recensés officiellement. Le chômage a ainsi diminué de 1,97% par rapport à avril. Il s’agit du troisième mois consécutif marquant une réduction du nombre des sans-emploi dans l’ensemble des secteurs. Comme conséquence immédiate, le nombre de travailleurs cotisant à la Sécurité Sociale augmente de 134.660 travailleurs pour atteindre un total de 16.367.013 affiliés. Le chômage a augmenté en l’espace d’un an (mai 2012 – mai 2013) de 176.806 personnes (+3,75%).
Selon les catégories d’âge, lit-on dans un communiqué du ministère espagnol de l’Emploi et de la sécurité Sociale diffusé mardi, le chômage des jeunes de moins de 25 ans s’est réduit de 16.735 personnes (-3,53%). En termes interannuels, il y a eu 32.317 de moins depuis mai 2012 (-6,59%).
La récession plus coriace que l’austérité
La publication des chiffres mensuels sur le chômage intervient au lendemain du diagnostic rendu public, lundi, par la troïka sur le système bancaire espagnol qui met en garde contre la persistance des causes de la crise économique. La troïka, formée il y a quelques mois pour veiller au comportement des banques espagnoles de la Commission Européenne, la Banque Centrale Européenne et le Fonds Monétaire International estime que la banque espagnole dispose de capacités financières qui la placent au-dessus des conditions exigées. Elle a cependant invité à prendre au sérieux les conséquences de la crise économique puisque les «risques sont toujours élevés» aussi bien pour les secteurs économiques que pour le financier.
L’Organisation Internationale du Travail (OIT) entre aussi en jeu et met en garde, dans son rapport intitulé «Rapport sur le travail dans le monde en 2013», contre la modération des salaires qui risque d’avorter les plans de réajustement financier. Critiquant indirectement la réforme du marché du travail, l’OIT relève que les «fortes réductions salariales et des investissements publics en 2012 ont eu un impact négatif sur l’économie espagnole».
Délices de la retraite
A l’autre barrière de la crise, se postent les ex-présidents du gouvernement espagnol qui, paraît-il, sont loin d’être affectés par les mesures d’austérité de l’exécutif actuel ou par la baisse d’activité au marché du travail. Leurs revenus sont devenus un des ingrédients les plus attractifs des débats dans les médias. La frontière entre l’éthique, le devoir et la solidarité disparaît alors lorsqu’il s’agit du bien-être hors du palais présidentiel. Voyons ce que gagnent «les pauvres» ex-présidents dont chacun à sa part de culpabilité dans la crise actuelle.
Le plus truffé des trois est Aznar, qui est passé, depuis son départ en 2004, par une série de hauts postes aux conseils d’administration de sociétés espagnoles entreprises, cabinets-conseils et entreprises multinationales. Son entreprise familiale, créée conjointement avec son épouse, Ana Botella (actuelle maire de Madrid) avait gagné 231.000 euros en 2012 et 445.417 en 2009. Depuis sa création en 2005, cette entreprise a eu des bénéfices de l’ordre de 2,34 millions d’euros obtenus surtout de la commercialisation des livres d’Aznar, conférences et participations aux grands forums. Celui-ci vient d’être engagé comme conseiller-senior pour l’Amérique Latine au cabinet juridique DLA Piper. Il avait assumé la même mission auparavant chez l’entreprise minière canadienne Barrik Gold et au sein du groupe multimédia international News Corporation, propriété de Rupert Murdoch. Uniquement de groupe, il avait empoché 198.112 euros en 2011. En bref, il n’avait jamais chômé depuis sa «retraite» comme président de gouvernement.
Felipe Gonzalez, non plus, n’est pas un grand amateur de la sieste. Il est toujours actif et touche, depuis 2010 en tant que conseiller au sein de l’entreprise de distribution de gaz, Gas Natural, 126.000 euros par an. En 2010, il avait facturé, selon le journal électronique espagnol El Confidencial, un total de 427.706,88 euros. Il est aussi un conférencier très sollicité au plan international, y compris au Maroc.
Reste Zapatero, le dernier partant à la retraite anticipée. Il préfère, pour l’instant, jouir du repos que lui garantit son statut d’ex-président avec un salaire à vie (au même titre qu’Aznar et Felipe) de 76.603 euros en tant que membre du Conseil d’Etat.
La crise économique en Espagne a ses protagonistes: les chômeurs, les retraités aux maigres pensions mais aussi ceux qui ont tracé les autoroutes, nommé les ambassadeurs et récoltent désormais les fruits de leur retraite dorée.