Guillaume Weil – Raynal
Un bon croquis vaut mieux qu’un long discours, disait Napoléon. Il en va de même de certaines photos. Envoyé au sultanat d’Oman en juillet dernier par le magazine qui m’emploie, j’ignorais tout de ce pays. Je savais seulement qu’il s’agit d’une des «pétromonarchies» du Golfe, située à l’Est de la péninsule arabique, entre l’Arabie Saoudite, les Emirats, l’Iran et le Yémen, et que la société omanaise est profondément religieuse. L’islam y est omniprésent. Une vision sommaire, à la suite de laquelle ne pouvaient donc que risquer de s’engouffrer les indéracinables stéréotypes qui imprègnent la société occidentale au sujet de l’islam en général et de cette région du monde en particulier : imams, femmes voilées, obscurantisme…
En France, tout particulièrement, la question du voile islamique obsède le débat national. De nombreux intellectuels, ignorant l’histoire et la géographie, et ne s’embarrassant pas d’amalgames, voient dans les femmes et les jeunes filles voilées qui ont fait leur apparition dans nos rues, nos lycées et nos entreprises, les ambassadrices d’une vision du monde perverse et dangereuse, qui nierait les principes fondamentaux de liberté, de laïcité et d’égalité des sexes qui constituent la base de ce que l’on appelle ici le «vivre ensemble». Ces femmes sont fréquemment qualifiées de «fantômes noirs», de «mortes-vivantes emmurées», à qui toute autonomie et tout épanouissement individuel serait refusés. Certains n’hésitent pas à évoquer jusqu’aux talibans d’Afghanistan qui punissaient de peines sévères celles qui osaient s’adonner, ne fût-ce qu’une fois aux plaisirs de la musique ou de la chanson.
L’éducation artistique, la création, justement. Ce fut l’une des belles surprises de ce voyage. Elle a 19 ans et s’appelle Muzna. Elle est étudiante en architecture et porte le voile comme toutes les femmes du sultanat. Son père est un des dignitaires religieux de la société omanaise. Vêtu de la traditionnelle dishdasha – la gandoura d’Oman – portant barbe et turban, (Et même un impressionnant poignard d’apparat, dans les cérémonies officielles !), il pourrait ressembler à l’ «islamiste» caricatural tel qu’on se le représente en occident. Il n’a pas souhaité que je mentionne ici son nom pour éviter tout mélange entre sa vie professionnelle et sa vie privée. On aimerait parfois que nos dirigeants, ici, en France, en fasse autant… Mais il m’a, en revanche, très courtoisement reçu à son domicile pour un dîner en famille, en compagnie de sa femme et de ses enfants, me faisant visiter sa maison jusqu’à insister pour que je franchisse le seuil de la chambre conjugale. Surtout, j’ai pu photographier sa fille et… ses tableaux. Car Muzna peint ! Un style artistique qui varie selon les œuvres. Parfois poétique, (un arbre composé de graines végétales collées à même la toile, un portrait de femme orné d’un collage de papiers et de tissus, des arabesques), parfois légèrement «déjanté» (un autre portrait de femme déstructuré, où se mêlent, dans un foisonnement de couleurs notes de musique et ballon de football…), on est loin de l’univers des talibans !
Quelques jours plus tard, j’ai croisé dans la rue une autre femme, fonctionnaire au ministère des affaires religieuses, que j’avais rencontrée le jour de mon arrivée à la grande mosquée du sultan Qaboos. Voilée, elle aussi, d’une manière que certains auraient vite fait de qualifier d’ «austère», elle rigolait en compagnie de ses copines «expats».
Des photos de voyages qui, mieux qu’un long discours, démentent tous les «clichés».