Arrêt Pérou-Chili et questions de forme

Nicolas Boeglin*

La Cour Internationale de Justcie (CIJ) a rendu son verdict, fort attendu du reste, ce Lundi 27 janvier relatif à la délimitation maritime (voir texte officiel) entre le Pérou et le Chili. Sollicitée par le Pérou en janvier 2008, la CIJ a procédé à lire et à écouter attentivement les deux Etats pendant 6 ans, durée anormalement longue pour ce type de contentieux, étant donné qu´aucun Etat n´a procédé à user des procédures incidentes.

En outre, il doit s´agir du délibéré le plus long de l´histoire de la CIJ: 13 mois exactement si l´on considère que la «fabrication» des arrêts de la CIJ – pour faire usage de l´expression du Président Mohammed Bedjaoui (Note 1) – débute quelques jours après la fin des plaidoiries orales, qui se sont tenues début décembre 2012 dans cette affaire. Dans son article, qui reste une référence sur le sujet, le juge Bedjaoui indique que le délibéré le plus long de toute l´histoire de la CIJ fut celui de l´arrêt sur le fond rendu entre le Nicaragua et les Etats-Unis du 27 juin 1986, long de plus de 1100 pages dans l´édition bilingue officielle (Note 2). Chiliens et péruviens auront nonobstant attendu davantage.

La ligne retenue par la CIJ (reproduite dans sa décision à la page 66) tente de faire la part des choses (et des arguments) entre les deux Etats: un premier segment de frontière maritime “convenue”, puis une ligne équidistante tracée sans circonstances spéciales ou situation qui résulterait en une situation inéquitable. S´agissant d´une décision de 69 pages seulement (édition dans une seule des langues officielles de la CIJ), on pourrait croire naturellement que l´on se trouve en présence d´une décision qui (au premier abord) ne semble pas soulever de difficultés majeures au plan de la technique juridique. On est alors en droit de se demander ce qui a bien pu mener la CIJ à prendre autant de temps pour se décider sur des choses aussi simples (en apparence). La myriade d´opinions individuelles, dissidentes, certaines écrites à titre individuel, d´autres à titre collectif, semble indiquer que le consensus n´a pas été vraiment de mise dans les débats internes entre les juges: sur 16 juges, 12 se sont senti presque obligés de faire savoir leurs appréciations personnelles sur la décision finalmente adoptée. Cet aspect des choses peut indiquer plusieurs choses: un Président de la CIJ peu enclin à parvenir avec ses collegues à un accord sur un texte de base; ou bien un Comité de Rédaction dans lequel la cohésion est loin de voir le jour; ou encore, une capacité inusitée des juges ad hoc en vue de persuader les autres juges titulaires du bien fondé de leur position; ou enfin, un mauvais moment pour discuter collégialement, ce qui peut arriver parfois. On lit à la fin de la décision de la CIJ que: » MM. les juges TOMKA, président, et SEPÚLVEDA-AMOR, vice-président, joignent des déclarations à l’arrêt ; M. le juge OWADA joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; M. le juge SKOTNIKOV joint une déclaration à l’arrêt ; Mme la juge XUE, MM. les juges GAJA et BHANDARI ainsi que M. le juge ad hoc ORREGO VICUÑA joignent à l’arrêt l’exposé de leur opinion dissidente commune ; Mme la juge DONOGHUE et M. le juge GAJA joignent des déclarations à l’arrêt ; Mme la juge SEBUTINDE joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente ; M. le juge ad hoc GUILLAUME joint une déclaration à l’arrêt ; M. le juge ad hoc ORREGO VICUÑA joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle en partie concordante et en partie dissidente«.

On rapellera que pour cette affaire le Pérou avait désigné comme juge ad hoc l´ancien juge et Président francais de la CIJ, Gilbert GUILLAUME, tandis que le Chili avait désigné le juriste chilien Franciso ORREGO VICUÑA. Sur la pratique (et l´éthique) des juges ad hoc à la CIJ, la plume fine et pénétrante d´un juriste sollicité à plusieurs reprises par les Etats pour siéger comme juge ad hoc, Nicolas Valticos, permet d´éclairer le lecteur sur les avatars, les joies, et les débats intimes de tout ordre d´un juge ad hoc lors de son séjour à La Haye (Note 3). Dans un modeste article récemment publié, nous avions eu l´occasion de faire part du grand soin que doivent avoir les Etats lors de la désignation de leur juge ad hoc (voir article en espagnol).

Qu´on le veuille ou non, exhiber de cette facon le débat interne de la CIJ (pour une décision n´atteignant pas les 70 pages) n´aide malheureusement pas celle-ci à asseoir son autorité, s´agissant notamment de questions de délimitation toujours fort délicates du point de vue politique, et notamment en Amérique Latine: le Pérou et le Chili avaient quelques semaines auparavant souffert quelque peu les effets d´une attente anxieuse sur fond de fuite d´ informations de La Haye (Note 4). Ceci sans compter les effets de la fronde du Président de la Colombie qui a déclaré “non applicable” le 10 septembre dernier la décision rendue par la CIJ en l´affaire qui l´opposait au Nicaragua et que nous avons eu l´occasion d´analyser récemment dans ces pages. Etant donné les vents adverses qui soufflent en provenance de Bogota pour la CIJ et pour le droit international en général, on se serait attendu à ce que les juges de La Haye soient un petit peu plus discrets sur leurs débats intimes.

  1. Note 1: Cf. BEDJAOUI M., «La «fabrication» des arrêts de la Cour Internationale de Justice», Mélanges Michel Virally, Le droit international au service de la paix, de la justice et du développement, Paris, Pedone, 1991, pp. 86-107.
  2. Note 2: Ibidem, p. 105
  3. Note 3: Cf. VALTICOS N, «La pratique et l´éthique d´un juge ad hoc à la Cour Internationale de Justice», Liber amicorum Judge Shigeru Oda, disponible ici.
  4. Note 4: Cf notre modeste article BOEGLIN N., “Innecesario nerviosismo entre Peru y Chile ante lectura del fallo de la CIJ”, TribuGolgal. Disponible ici.

1 COMENTARIO

  1. Del artículo entiendo poco, porque está escrito en francés, mi lengua materna es el español de latinoamérica. Pero de todas maneras en estos asuntos, hay que separar «la paja del trigo», en aspectos genéricos y en otros que son asuntos más puntuales.
    Lo genérico es que me queda clarísimo que la Corte Internacional de Justicia no resuelve estrictamente en derecho, que sus fallos (y especialmente por el analizado en este artículo que sentará precedente en esa línea de tales jueces casi como doctrina hacia el futuro; tendencia que de seguro ya estarán estudiando al mínimo detalle los interesados en entablar demandas y los obligados a responder a ellas). Esto que digo es para sentar una característica de proceder de tal Corte, no para desconocer sus méritos.
    (Por coincidencia desde joven he tenido interés en la historia geopolítica del extremo norte chileno y del extremo sur peruano, desde la época precolombina en adelante, zonas que he recorrido en terreno en lo general).
    Los verdaderos asuntos implicados en la demanda, geoestratégicos, que son los realmente importantes, apasionados y sensibles para un estado-nación, «esotéricos» al efecto del común de las personas, NO son los que hemos apreciado en el fervor mediático y los discursos políticos con su entorno de verdades aparentes.
    Los jueces de la Corte Internacional de La Haya, en su decisión, fue en esos puntos, los «invisibles» de las intencionalidades, adonde verdaderamente apuntaron con intensidad, para «bajar el perfil» a los nacionalismos y rencores.
    Demostraron conocer la historia de ambos estados-nación y sus relaciones y conflictos en lo económico, geográfico, político, militar (llamado eufemísticamente defensa).
    Quizás no lo dicen en ninguna parte, pero la fórmula resolutiva adoptada lo evidencia; y cuyo cumplimiento por las partes entregará satisfacción suficiente (ojalá) a una de ellas y mayor seguridad geopolítica a la otra por estar respaldadas en un fallo internacional de justicia las fronteras marítimas a partir de ahora; quizás permitiendo en definitiva un primer paso de colaboración real entre los dos estados-nación y aunque sea un leve aumento de las confianzas futuras, las que hoy solamente son «de la boca para afuera» y de una hermandad en los dichos y en los negocios quizás, pero no en los hechos y las actitudes mentales.
    Veo también allí un mensaje implícito, para que los estados interesados en impulsar demandas y los probables demandados, repiensen en la búsqueda por sí mismos de soluciones acordadas armoniosamente entre ellos, como el refrán de que «vale más un mal arreglo que un buen juicio». Es que si en las demandas jurídicas internacionales, así como «en el pedir no hay engaño», en los fallos, así lo que en definitiva se resuelve «salomónicamente», da la posibilidad cierta de obtener menos de lo que se pide y, de paso, afianzar o legimitar internacionalmente en juridicidad importantes puntos de gran importancia geoestratégica para el demandado, que sin haber mediado proceso no habrían alcanzado un nuevo status de mayor solidez y perennidad y que, antes de la demanda, hubieran podido continuar discutiéndose e incluso justificar chauvinismos y sueños-alucinaciones desatados en algún futuro.

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