Les morisques font partie des épisodes les plus douloureux de l’histoire de la nation arabo-musulmane
Doublement victimes de l’expulsion de leurs terres et de l’ignorance de la part des chercheurs, ils ont été nombreux à abandonner leurs foyers et devenir des exilés sans l’espoir de retourner dans leur partie.
Dans une tentative de réécrire l’histoire commune hispano-marocaine, il serait louable de ressusciter la mémoire des morisques et éclairer certains points restés obscurs, ou mal compris, en relation avec leur expulsion, leur contribution à la modernisation des activités économiques et culturelles des pays d’accueil et la marge qui leur est accordée dans la recherche scientifique. Dans ce contexte, la reproduction de textes puisés dans des œuvres considérées comme des références incontournables en la matière devient indispensable.
«Les morisques, avant et après l’Expulsion» de Mikel de Epalza
Dans l’introduction de son ouvrage intitulé «Los moriscos antes y despuès de la expulsión» (Les morisques, avant et après l’Expulsion), Mikel de Epalza (Fundación Mapfre, 1992) qualifie l’expulsion des morisques de «fait significatif» dans l’histoire de l’Espagne du 17e Siècle qui acquiert un sens tragique de l’histoire de neuf siècles d’existence des musulmans dans la péninsule ibérique.
«Expulsion» est le terme employé par les historiens pour exprimer décrire d’un décret royal, daté du 22 septembre 1609 ordonnant le renvoi des premiers morisques du Royaume de Valence. Le décret dit ceci : «J’ai décidé que soient partis tous les morisques de ce Royaume et que l’on les emmène vers la Béribérie» (Maghreb).
Le terme «expulsion» renforce le concept de «éloignement», jeter hors de sa terre, «exil», installation dans un endroit loin de son foyer. L’expulsion marque un point central entre un «avant» (d’être éloignés de leur terre) et un «après» (leur installation en exil). L’expulsion indique ainsi la fin brutale des morisques. Socialement, c’est l’élimination d’une minorité dans la société espagnole de l’époque. Historiquement, il s’agit du divorce avec neuf siècles de l’Islam d’ Al-Andalous, contemplé comme une triste finale d’une histoire glorieuse.
Le départ forcé des morisques est conçu comme la rupture d’une convivialité sociale et comme la fin d’une longue étape historique. Ces deux coordonnées, la sociologique et l’historique, attribuent un dramatisme tragique au sort des morisques et les situent en relation avec deux dimensions fondamentales de la vie humaine. D’abord, la rupture de la convivialité sociale qui supposait l’expulsion (qui gêne l’homme dans ses relations avec les autres) alors que la fin d’une longue histoire renvoie au thème de la mort, qui est provoquée par les autres. Convivialité sociale et homicide, sont intimement significatifs pour chaque individu et pour chaque groupe et sont symbolisés dans le sort qu’ont connu les morisques en Espagne du 17e siècle. Cette dimension de la question doit être prise en compte pour comprendre son permanent intérêt. Les morisques seraient simplement un simple groupe de la société espagnole et de la société musulmane et d’un intérêt limité, si leur expulsion n’avait pas eu lieu.
De Plaza (1938 – 2008 : universitaire et arabiste espagnol), reconnaît que la situation des morisques en Espagne et les facteurs de leur expulsion ont fait l’objet de nombreuses études. Par contre, le sort des morisques après leur expulsion est moins connu pour diverses raisons dont le peu de matériels documentaires en la matière, l’éloignement géographique des pays où ils s’étaient établis et le relatif anonymat pour lequel avaient opté des milliers de musulmans dans la société islamique d’accueil. Selon les registres officiels du 17e Siècle, de nombreux morisques expulsés avaient péri dans les voyages par mer ou attaqués à leur débarquement en Afrique du nord.
Aujourd’hui, en dépit de l’acceptation positive du caractère hispanique de ces expulsés et leurs descendants, unis étroitement à ‘histoire et la société espagnole, des réticences politiques persistent encore de peur d’éventuelles revendications de la part des musulmans, de droits perdus par les morisques comme ultimes descendants et héritiers de l’Islam et de sa souveraineté politique dans Al Andalous. Réalisme et amplitude de visions devraient, en fait, bannir (dans le traitement historique de la question de l’expulsion des morisques) toute réticence face à l’étude objective de ce fait de l’histoire hispano-arabe et islamico-chrétien. L’histoire prétend seulement connaitre le passé et l’expliquer et non le justifier ni tirer des conséquences politiques dans le présent, bien que ceci soit parfaitement normal et légitime.
Les morisques dans l’usage de ce terme par les historiens actuels, sont les musulmans des royaumes péninsulaires qui, par la suite, seront expulsés de l’Espagne (Couronne de Castille, Aragon et Navarre) et furent obligés à coexister avec le christianisme au début du 16e siècle. Ainsi ils se distinguent des «mudéjares» ou musulmans péninsulaires originaires d’Al-Andalous arabe qui pourraient pratiquer leur religion dans la société chrétienne au Moyen-âge avant de les soumettre à des conversions forcées au 16e Siècle. Les «mudéjares» sont les descendants des «andaloussis» ou musulmans placés sous le pouvoir politique islamique dans Al Andalous, terme qui désigne aussi l’Espagne islamisée ou Péninsule ibérique durant la période de son histoire politique.
Pour leur origine hispanique, les morisques se distinguent aussi des «berbères» ou habitants du Maghreb. La terminologie usitée par les historiens modernes est très claire : Les morisques sont les musulmans hispaniques obligés à être baptisés et christianisés au sein de la société espagnole des XVIe et XVIIe siècles.
Sont également dénommés morisques ceux qui ont été expulsés d’Espagne et leurs descendants, spécialement au Maghreb où ils sont aussi appelés «andaloussis» ou personnes originaires d’Al Andalous. Pour plus de clarté, et pour éviter des confusions linguistiques entre l’arabe et l’espagnol, sont désignés comme morisques les musulmans expulsés d’Espagne et comme andalous les descendants des immigrés d’Al Andalous dont les prédécesseurs morisques (christianisés en Espagne au 16e siècle) ou immigrés antérieurs à la conversion forcée à la foi chrétienne. En réalité, il est difficile de savoir le plus souvent en quelle époque avaient émigré de l’Espagne les prédécesseurs de nombreux andaloussis du Maghreb.