Foire du livre de Madrid: flâner dans les allées de la lecture

Une balade à la 73e Foire du livre de Madrid se convertit rapidement en un hommage à la lecture, une expression de gratitude à l’égard de la corporation des éditeurs, écrivains et libraires, mais aussi, une délice à s’offrir en feuilletant bonnement les fortunées œuvres se distinguant comme « Best Sellers ».

Le grand bazar de bouquins

cartel-feria-libro-madrid-2014 Foire du livre de Madrid: flâner dans les allées de la lectureRien n’est plus douloureux dans tout pays que la baisse de l’indice de lecture. De cette habitude dépend le niveau éducatif et culturel des citoyens, les chiffres d’affaires de l’industrie du livre et la survie des marchands de lettres, en l’occurrence les écrivains et littérateurs. Parmi les signes promoteurs, la 73e Foire du Livre de Madrid (30 mai – 15 juin) a clos, dimanche, sa première semaine avec des performances qui augurent de résultats plus probants que l’édition précédente. Pour les éditeurs, les raisons abondent : commercialisation de plus de 50.0000 titres édités en 2013 ; un hommage posthume à Gabriel Garcia Marquez (décédé le 17 avril dernier) et la participation de 508 éditeurs exposant dans 364 stands.

Cette année, la foire du livre a été précédée de la publication d’une mine d’informations par l’Institut Espagnol de la Statistique sur l’état de santé du livre en Espagne. Il y a eu une baisse, en 2013, de 19% du nombre de livres édités par rapport à 2012. Ce sont 56.435 titres, dont 98,4% correspondent à premières éditions et 1,6% à des rééditions. Il y a un an, il y avait aussi une baisse de 32,6% des ouvrages plus volumineux (de plus de 1.000 pages), une tendance qui a été confirmée dans les exercices précédents. Comme en 2012, la taille la plus habituelle des titres mis en vente, soit 31%, concerne les ouvrages de 100 à 200 pages. En l’âge de l’électronique et du « fast food », les gros livres effraient le potentiel lecteur. La littérature demeure la thématique en vogue avec 30% du total des ouvrages édités, suivie des sciences sociales (16,2%) et sciences appliquées (15,4%).

Les éditeurs tablent sur une année positive pour l’industrie du libre qui accumule des pertes comme conséquence de la chute des ventes de livres. Uniquement en 2013, ces pertes se sont élevées à 300 millions d’euros, selon les données de la Corporation des Editeurs de l’Espagne. L’espoir est de colmater la saignée du secteur et faire augmenter les ventes. En 2013, celles-ci avaient progressé de 9,3% par rapport à 2012.

Garcia Marquez, l’immortel protagoniste

La 73e Foire du Livre de Madrid a su comment rendre hommage à Gabriel Garcia Marquez, un des grands chantres de la langue espagnole mais aussi le peintre de la condition humaine. Grâce à son style d’écrivain engagé aux côtés des plus vulnérables et des causes justes des peuples, il continue, quelques semaines après son décès (17 avril), de former partie du club des écrivains privilégies les plus lus dans le monde. Il est aussi le plus sollicité dans cette foire. C’est la raison pour laquelle Garcia marquez a été, dimanche (8 juin), la vedette de la foire de Madrid. Un hommage lui a été rendu collectivement par les exposants, les organisateurs et visiteurs par le biais d’une lecture continue de son œuvre maitresse, Cien anos de soledad » (Cent ans de solitude). Des personnalités du monde de la culture mais aussi d’anonymes lecteurs se sont joints à cette fête littéraire comme s’il s’agissait d’un hommage posthume. Un livre de condoléances, placé dans le site de la foire, a été signé par des milliers de visiteurs. Il sera remis par la suite à sa famille.

L’abdication du roi Juan Carlos 1 er (annoncée le 2 juin) est considérée comme une aubaine par les exposants. La plupart d’entre eux ont immédiatement placé au devant de leurs stands des publications sur la monarchie espagnole, y comprises celles traitant des scandales financiers dans lesquels sont impliqués des membres de la famille royale.

La Foire n’a pas oublié la commémoration du centenaire de la Première Guerre Mondiale et le débarquement des forces alliées en Normandie (6 juin 1944) qui a mis fin à la Deuxième Guerre Mondiale. Ce sont des événements qui ont été capitalisés par les exposants pour vider leurs stocks les manuels, biographies, linographies, photographies mais aussi éditions spéciales sur les deux grands conflits qui ont endeuillé le monde occidental. Les conflits actuels ne sont pas non plus relégués à un second plan. Au contraire, les guerres civiles dans le monde arabe et ouvrages sur le « printemps arabe » sont très sollicités. Ce sont généralement l’œuvre de chercheurs, universitaires et politologues occidentaux. Le public aime s’informer sur le monde arabo-musulman mais à travers des sources américaines, anglaises ou françaises. Les références arabes n’ont pas de place pour la simple raison que l’éditeur arabe est absent à cette foire.

Diwan, une oasis qui défie la solitude

Pour la deuxième année consécutive, la maison d’édition Diwan, propriétaire d’un marocain résidant à Madrid, défie toutes les sortes de contraintes et plante son stand à la Foire du Livre de Madrid. Vieille de plus d’une quinzaine d’années, elle s’est spécialisée dans la culture arabo-islamique. Elle s’est érigée, dans le site de la foire, comme l’unique référence en la matière (à coté de Casa Arabe, une institution publique espagnole). Elle est aussi la seule maison arabe à croiser dans les allées de la foire. Les ouvrages exposés sont une sélection de son répertoire mais aussi formant partie de son stock à la librairie qui porte le même nom. Jeudi, ce stand a vécu une atmosphère peu commune. Le mégaphone de la foire annonçait, sans arrêt, les cérémonies de signature d’ouvrages édités par Diwan. Parmi eux, deux ouvrages, édités par Diwan, sont l’œuvre du sociologue-journaliste marocain Mohamed Boundi. Ils ont exposés parmi une montagne d’écrits sur la culture arabo-musulmane pour rompre avec la tendance générale des choix des autres stands.

diwan-feria-libro-madrid Foire du livre de Madrid: flâner dans les allées de la lecture

Ce sont deux essais sociologiques qui traitent de thèmes d’actualité. Le premier, qui s’intitule « Heridas sin cicatrizar » (Plaies non cicatrisées) analyse l’image du Maroc dans l’opinion publique espagnole en périodes de crise. L’ouvrage repasse les relations maroco-espagnoles depuis la Guerre de Tétouan (1859-60) jusqu’au début du 21e siècle. L’objectif est de démonter, à travers un travail empirique (analyse de contenu de la presse espagnole), le mécanisme des préjugés et stéréotypes collés au marocain et les dommages subis par les deux peuples durant un siècle et demi. Le deuxième, qui a pour titre « Sin ellas no se mueve el mundo » (Sans elles le monde stagne) est une étude sur la condition de la femme de ménage immigrée en Espagne, qui a été réalisée grâce au soutien des membres et volontaires du Cercle de Recherche sur l’Immigration, Développement et Coopération (CIIDYC – Madrid). L’étude a permis de constater qu’une bonne proportion des immigrées se voient obliger, au début de leur projet migratoire en Espagne, exercer dans une niche professionnelle peu rémunérée et boudée par les femmes autochtones. L’essai invite à une réflexion sur le besoin de valoriser le travail de ces femmes. Celles-ci, retient l’étude, contribuent à la création de la richesse de la société espagnole par l’amélioration du bien-être des couples autochtones, l’éducation de leurs enfants et la propagation des valeurs de convivialité culturelle.

Défis et espoirs en période de récession

Diwan est aussi un point de visite obligé. Elle accueille en moyenne plus de 600 personnes entre celles qui sollicitent des informations sur les publications et d’autres qui acquièrent des exemplaires des ouvrages exposés, a signalé Saïd Bensallam, chargé la gestion du stand Diwan. Comme tout exposant, Diwan aspire à un chiffre d’affaires supérieur à celui de 2013 au cours des 17 jours de la foire.

Les défis à relever ? Sont les mêmes que pour le reste des stands et que la coïncidence avec le Mondial de Football au Brésil, au dernier week end (14-15 juin), ne sanctionne l’affluence et fasse fuir le public des allées de la lecture.

Espoir ? Que les ventes augmentent juste un petit peu et que la chute s’estompe et que la moyenne des lecteurs augmente. En 2013, il y avait 63 espagnols sur cent qui déclaraient avoir lu au moins un livre, un chiffre qui est au-dessous de la moyenne européenne (71%).

En dépit de la crise que traverse le pays depuis 2007, l’industrie du livre représente un important levier de l’économie espagnole en apportant plus de 1% au Produit Intérieur Brut (PIB) et réalisant un chiffre d’affaires de trois milliards d’euros.

Mohamed Boundi
Periodista, doctor en sociología y ciencias de la comunicación de la universidad Complutense de Madrid. Corresponsal en España desde 1987, es licenciado en periodismo, investigador en ciencias sociales, opinión pública y cultura política. Publicaciones: “Marruecos-España: Heridas sin cicatrizar”, un estudio sobre la imagen de Marruecos y sus instituciones en la opinión pública española en momentos de crisis; “Sin ellas no se mueve el mundo”, un trabajo de terreno sobre la condición de las empleadas de hogar inmigrantes en España; “La mujer marroquí en la Comunidad autónoma de Madrid: convivencia y participación social”.

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