L’emploi de ménage se situe en tête des occupations des femmes marocaines travailleuses en Espagne. Plus de la moitié d’entre elles exerce dans cette niche qui est quasi-exclusivement réservée aux immigrées.
La rigidité des lois et les barrières administratives limitent l’accès de la main d’œuvre économique étrangère aux postes de travail spécialisés et activités intellectuelles. Ce constat est le résultat d’une enquête que j’ai réalisée en 2010-2011 pour le compte du régional de Madrid.
Une niche temporaire qui dure
Au moment de la réalisation de l’enquête, qui a concerné 204 femmes actives ou en quête d’un emploi qui fréquentaient les services d’assistance de l’Association Solidaire pour l’Intégration Socioprofessionnelle de l’Immigré (AISISI-Madrid), la quasi totalité de cet échantillon comptait plus de deux ans en chômage. Pourtant, elles étaient en situation régulière pour disposer de papiers en règle. Ce qui est remarquable est que près de 50% étaient en chômage mais seul un tiers parmi elles avaient travaillé moins d’un an ou n’a jamais eu encore l’opportunité d’exercer une activité professionnelle. Celles qui ont pu accéder au marché du travail exerçaient au service domestique (ou de ménage) ou prennent soin des enfants et personnes âgées. Cette proportion corrobore leur invisibilité pour travailler dans un espace privé.
Le dépouillement des entretiens avec ces femmes a permis de relever qu’elles jouissaient d’un «traitement correct» de la part de leurs employeurs et du public. Une infime proportion affirmait avoir été victime d’insultes, d’un certain type de discrimination pour sa race, son costume ou sa nationalité. Il y aussi quelques cas signalés de harcèlement sexuel (5 % des interviewées).
Une femme bien intégrée professionnellement
Dans l’analyse des aspects professionnels de l’immigrée marocaine en activité en Espagne (2010-2011), il ressort que 59% parmi elles étaient en chômage. Toutefois, la majorité est dotée d‘une expérience au travail pour avoir exercé une certaine activité plus de trois ans (42 %), moins de trois ans (14 %), moins de deux ans (10 %) ou moins d’un an (21 %). En total, 66 % affirment avoir travaillé plus d’un an depuis le début de leur séjour en Espagne, et, 12% déclarent n’avoir jamais eu l’opportunité de s’incorporer au marché du travail. Il s’agit surtout, dans dernier ce cas, des femmes arrivées récemment dans le cadre du processus du regroupement familial, un statut qui ne leur permet pas l’accès à un permis de travail.
En 2009, le taux de chômage dans le milieu des marocains était de 42 %, selon le ministère espagnol de l’Emploi et de l’Immigration. Cette donnée démontre que la femme marocaine dans la Communauté autonome de Madrid (qui a financé cette enquête) était la plus affectée par la crise économique par rapport à la moyenne nationale du chômage des marocains pour compter 59 % de la population active féminine marocaine sans emploi dans cette région.
L’emploi de ménage, une panacée
Dans sa majorité, le collectif féminin marocain exerce dans l’emploi de ménage (55 %), l’accompagnement des mineurs (14 %) et de personnes âgées ou dépendantes (14 %). Ces données se situent dans la tendance générale des opportunités offertes aux immigrées au marché du travail en Espagne. Il existe une proportion réduite de marocaines qui exercent également dans l’agriculture (4 %) alors que 14 % se trouvent dans différentes occupations au secteur tertiaire (hôtellerie, restauration, activités culturelles, tourisme). Le taux de chômage des immigrées marocaines, en 2010, avait augmenté de 38,1 % para rapport à l’année précédente, selon l’agence de l’emploi temporaire Ranstad.
Le service de ménage a toujours été une niche qui groupe le plus de femmes marocaines en Espagne. Cette situation n’a jamais évolué depuis le premier processus de régularisation de la situation des étrangers en 1991. C’est également la même situation que vivent les immigrées d’autres nationalités. En général, sont des femmes invisibles qui assument des tâches domestiques à côté de la prise en charge des enfants en bas âge et personnes âgées dans leur endroit de travail, retiennent des enquêtes réalisées au niveau national par des organismes publics et ONG.
Une femme invisible
L’enquête apporte également d’autres indicateurs sur la condition de la femme immigrée marocaine. Seules 40 % des marocaines en activité ont un rapport avec le public. Celles-ci affirment cependant exercer dans des conditions adéquates, de respect mutuel et de l’esprit du contrat d’engagement. Les cas de discrimination pour race, style vestimentaire ou nationalité concernent uniquement 19 femmes sur les 204 interviewées (9 %) ; d’insultes ou de chantage 13 femmes (6 %) et 10 pour harcèlement sexuel (- 5 %). Ces pourcentages paraissent insignifiants par rapport à ceux apportés par les syndicats espagnols en rapport avec le traitement de la femme au poste de travail. Dans sa première étude en 1988 sur le harcèlement sexuel des travailleuses en Espagne, la centrale Union Générale des Travailleurs (UGT) révèle que 84 % des femmes ont fait l’objet d’une certaine conduite de «harcèlement léger», 55 % de «harcèlement modéré», 27 % de «harcèlement moyen», 27 % de «harcèlement fort» et 14 % de «harcèlement très fort». Ces données sont contenues dans une étude intitulée «Le harcèlement sexuel dans le travail», de la sociologue Ana Mejías García, en 2001.
Emploi de ménage, substrat du boom économique
Le choix par l’immigrée marocaine de l’emploi de ménage est dicté par la prise de conscience des difficultés d’accès au marché du travail pour les étrangers. C’est aussi une conséquence directe du cycle de prospérité que vit l’Espagne depuis son adhésion à l’Union Européenne (jadis Communauté Economique Européenne) en 1986. La forte demande de la main d’œuvre féminine dans les différents secteurs de l’économie et la pression des mouvements sociaux qui revendiquaient l’égalité d’opportunités et le même traitement entre les deux sexes au marché du travail, avaient accéléré l’incorporation de la femme espagnole aux activités productives et rémunérées hors du foyer familial. Dans ce contexte, institutions académiques, instituts de recherche, organismes publics et ONG ont contribué à la sensibilisation de l’opinion publique, des entreprises et familles à la valeur du travail domestique dans l’économie nationale et l’amélioration du bien-être de la société. La croissante demande de services domestiques est due aussi à la généralisation du travail des femmes dans la société occidentale.
Actuellement, l’emploi de ménage est considéré comme une niche fortement associée au phénomène migratoire devant le progressif abandon de cette activité par les femmes autochtones qui préfèrent exercer des activités mieux rémunérées, plus productives et moins fatigantes. L’immigrée marocaine au même titre que celles d’autres nationalités se trouvent dans cette équation mercantile qui leur facilite un premier emploi en débarquant en Espagne pour survivre dans l’attente d’accéder à d’autres activités avec davantage de garanties.