Marocains d’Espagne: Hicham, le journaliste-entrepreneur

Le cas de Hicham Amraoui (44 ans) qui, à l’issue d’un séjour à Madrid (et dans d’autres villes espagnoles aussi) qui dure depuis plus de 13 ans, interpelle tout chercheur et journaliste. Il fait partie des marocains qui ont pu démonter, par leur obstination, les stéréotypes qui leur sont attribués.

Hicham-Amraoui1 Marocains d’Espagne: Hicham, le journaliste-entrepreneurIl est aussi un exemple de la minorité d’intellectuels marocains qui fraient son bonhomme de chemin dans la société occidentale. Ils ne sont pas nombreux mais plusieurs d’entre eux ont acquis leurs lettres de créances comme chercheurs, écrivains, poètes professeurs ou universitaires.

En Espagne, le collectif marocain est abusivement identifié avec le chômage, la sous-qualification professionnelle et le dilettantisme. Ce sont des préjugés, qui lui sont collés depuis le protectorat et dans les manuels scolaires, la littéraire africaniste et le cinéma colonial. Bien qu’ils pèsent de moins en mois dans l’imaginaire collectif espagnol, il reste encore un long chemin à parcourir pour les éradiquer. Certains marocains ont actuellement réussi à les démentir en démontrant qu’ils sont aussi entrepreniaux que les autochtones et les autres collectifs d’immigrés.

Une inusuelle expérience réussie de l’intégration

Hicham, cet originaire d’Assilah qui fut obligé pour des circonstances contraignantes de traverser le détroit de Gibraltar en 2000, est le modèle d’immigré marocain qui affirme être « fier de son identité ». Il s’identifie à l’intellectuel engagé et il n’est « pas prêt » à renoncer à son statut de journaliste. Aujourd’hui, il est entrepreneur-innovateur qui a embarqué dans l’import-export, une activité bourrée d’embûches bureaucratiques, concurrences de toute sorte et au bénéfice incertain. Il est « prêt à assumer le risque » pour la simple raison de tenter de renverser la tendance et convaincre la société espagnole (et marocaine aussi) à prendre conscience des compétences marocaines à l’étranger.

Actuel directeur d’une entreprise d’importation de produits alimentaires du Maroc et président de la Fondation Fossoul d’Assilah, il est passé par de nombreuses activités et secteur. Décrochant au milieu des années 2000 un diplôme de « médiateur social », il repousse l’idée de l’identifier à « l’immigration économique ». Un coup d’œil a son CV suffit de le corroborer : directeur pendant plus de dix ans de Marketing et Communication à la multinationale Hispano Worldtransfer Moneygram (de transferts de devises), directeur de la section arabe à la Station Babel FM orientée aux immigrés, directeur du journal Fossoul Assilah, militant pour les droits de l’homme au sein d’ONG espagnoles, journaliste de plusieurs médias et un long etcetera d’activités. « Pour pouvoir s’intégrer dans la société d’accueil, il faut le mériter. La meilleure recette est d’être fier de sa culture, se former pour comprendre l’autre et se faire comprendre », ainsi résume-t-il sa philosophie de l’intégration socioprofessionnelle en Espagne.

Parler pour se comprendre

Dans son répertoire linguistique, il a banni le concept de « départ volontaire » proposé par les autorités espagnoles aux immigrés en difficulté et largement ressassé dans les médias marocains. Il a fallu plusieurs rencontres pour que Hicham décide d’accorder cet entretien dans son propre appartement, situé non loin du centre culturel Islamique, la plus grande mosquée de Madrid.

Mohamed Boundi:Albayane : pourquoi es-tu resté en Espagne en dépit de la crise économique ?

Hicham Amraoui: les conditions de vie, la citoyenneté la garantie des droits sociaux m’encouragent de résister dans l’actuelle conjoncture. D’autant plus, la dignité de l’homme est prise en compte dans ce pays aussi bien au marché du travail que dans la vie quotidienne y comprise l’égalité de tous devant la loi.

MB: peux-tu le détailler ?

HA: en exemple, quand je vais en vacances au Maroc, mon grand cauchemar est de ne pas rendre visite au médecin, faire face à un quelconque problème qui pourrait me conduire dans un tribunal de justice ou tomber avoir un accident de route. Autre exemple : j’ai emmené un groupe d’investisseurs espagnols qui étaient mes associés dans une entreprise. Nous avons eu d’énormes problèmes avec de véreux entrepreneurs marocains, d’autre d’ordre administratif y compris dans des procédures douanières au port de Tanger pour faire sortir une cargaison de câpres qui était passée par tous les processus de contrôle.

MB: quel est ton secret alors pour résister à la crise qui couve en Espagne depuis 2007 ?

HA: je n’en ai aucun. Tout simplement, je n’ai jamais voulu être une proie des mauvaises pratiques des hommes politiques qui accèdent au pouvoir ou du régime néolibéral qui a conduit l’Espagne à la débâcle. J’ai décidé finalement de prendre mon destin en main et entreprendre des activités commerciales comme autonomie.

MB: quel type d’activité ?

HA: je suis de nature un journaliste free-lance ; j’entretiens de bonnes relations avec des médias et intellectuels espagnols depuis mon arrivée dans ce pays. L’éventail des activités est très large : traduction, animateur de colloques, et rencontres culturo-artistiques. C’est une marge de manœuvre que les immigrés ne savent souvent comment exploiter. J’ai eu aussi l’occasion d’organiser des rencontres entre médias espagnols et responsables et politiques marocains de passage à Madrid pour faire connaître les causes nationales.

MB: est-ce que tu te considères toujours comme intellectuel malgré ton nouveau statut d’entrepreneur ?

HA: je suis intellectuel, journaliste et je ne suis pas prêt à renoncer à ma condition d’intellectuel ni couper avec le monde de la culture, des médias et de la pensée en général.  Je m’oppose carrément au concept du « business » qui blesse ma dignité. De la même manière, je récuse les rapports avec la délinquance organisée, la contrebande et toute activité illicite. Ma préoccupation est que l’image du marocain soit préservée et rompre aussi avec les faux préjugés que nous traînons injustement, qui nous cataloguent de trafiquants de stupéfiants, de cancres et de mauvais immigrés. Le marocain à l’étranger souhaite vivre et garantir à sa famille les conditions dignes de coexistence avec les autochtones des sociétés d’accueil. Mon ambition est de voir en le Maroc un pays évolué et prospère à l’image des pays européens où la santé est assurée pour tous, la justice est impartiale, l’égalité des chances est garantie pour tous les citoyens, la concurrence est loyale entre les différents entrepreneurs et sans monopoles dans les secteurs commercial et industriel.

MB: exerces-tu autre activité non commerciale ?

HA: je suis un activiste des droits humains et de défense des droits des minorités et couches sociales vulnérables. Je me considère en toute modestie un élément actif au sein de nombreuses ONG dont la Fondation Fossoul .

MB: quel statut  a la Fondation Fossoul ?

HA: elle est une des rares institutions marocaines en Espagne qui accompagnent la communauté d’immigrés, nonobstant la nationalité, pour lui faciliter l’intégration à la société d’accueil. Elle est également une organisation entrepreuniale qui opère dans le monde de l’économie par le biais d’opérations import/export, sensibiliser les investisseurs espagnols aux opportunités offertes au Maroc pour y opérer, délocaliser une partie de leurs activités et diversifier les produits importés du royaume.

MB: as-tu des nouvelles du « bled » ?

HA: oui bien entendu. Mes concitoyens viennent nous voir constamment. Je suis surpris lorsque je rencontre des responsables, conseillers municipaux et dirigeants politiques marocains qui optent de passer leurs vacances dans les villes espagnoles pour la qualité des services offerts, et, de retour dans le pays, ils ne songent jamais à appliquer le modèle de la cité espagnole, c’est-à-dire, une ville propre avec des équipements au service du citoyen.

Mohamed Boundi
Periodista, doctor en sociología y ciencias de la comunicación de la universidad Complutense de Madrid. Corresponsal en España desde 1987, es licenciado en periodismo, investigador en ciencias sociales, opinión pública y cultura política. Publicaciones: “Marruecos-España: Heridas sin cicatrizar”, un estudio sobre la imagen de Marruecos y sus instituciones en la opinión pública española en momentos de crisis; “Sin ellas no se mueve el mundo”, un trabajo de terreno sobre la condición de las empleadas de hogar inmigrantes en España; “La mujer marroquí en la Comunidad autónoma de Madrid: convivencia y participación social”.

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