Les morisques font partie des épisodes les plus douloureux de l’histoire de la nation arabo-musulmane.
Doublement victimes de l’expulsion de leurs terres et de l’ignorance de la part des chercheurs, ils ont été nombreux à abandonner leurs foyers et devenir des exilés sans l’espoir de retourner dans leur partie. Il est opportun, en ce mois de ramadan, de ressusciter leur mémoire et éclairer certains points restés obscurs, ou mal compris, en relation avec leur expulsion, leur contribution à la modernisation des activités économiques et culturelles des pays d’accueil et la marge qui leur est accordée dans la recherche scientifique.
Origines et sens du terme «morisque» (Mikel de Epalza)
Le terme «morisque» vient de «moro» avec une terminaison qui signifie diminutif ou dérivation adjectivale. Il comporte le plus souvent un sens péjoratif. Etymologiquement, il serait l’équivalent d’un autre dérivé moderne de «moro», l’épithète «morasco», profondément dépréciatif. C’est aussi un signe qui signifie que ces personnes ne sont pas comme les autres «moros» païens (qui croient en une autre religion dans ce sens) puisqu’ils ont été baptisés et sont en général reconnus comme chrétiens dans la société espagnole, pour diverses causes. «Morisque» serait, en définitive, un dérivé de «moro», équivalent à la plus exacte expression religieuse, à savoir «chrétien nouveau de moro».
Le vocable «moro» provient du latin «maurus», qui désignait à l’époque romaine les habitants du Maghreb central et occidental actuel (zones côtières du Maroc et de la quasi-totalité de l’Algérie), les provinces romaines de la Mauritania Tingitane (capitale Tanger) et Mauritania Caessaiensis (capitale : Cherchell en Algérie). Jusqu’aux interventions maghrébines dans Al Andalous aux XIe et XIIe siècles, les chroniques européennes médiévales n’avaient pas l’habitude de désigner les musulmans de «moros». A partir de cette époque, la dénomination «moro» devra par la suite qualifier, jusqu’à nos jours, tout «non-chrétien», avec une certaine agressivité : les «moros» et «les chrétiens»; «moros en la costa», el niño «moro» (ou baptisé), etc. Durant le protectorat espagnol sur le nord du Maroc et dans les places occupées de Sebta et Melilla ainsi que dans certaines classes sociales andalouses, le terme «moro» est très péjoratif et agressif. C’est la raison pour laquelle est devenue une norme académique à respecter dans les milieux cultivés et écrits scientifiques en Espagne de ne pas utiliser «moro» pour designer «les musulmans» (dans le sens religieux de «moro») ou les «arabes» (arabophones, arabes originaires de la Péninsule Arabique ou arabes citoyens des 21 Etats arabes actuels). En contrepartie, il est utile de signaler la sympathie avec laquelle s’utilise généralement le terme «moro» en Valence, en Alicante et à Murcie où les Fêtes de Moros et Chrétiens sont très populaires. D’un autre coté, le vocale «moro» exprime très bien la totale opposition du monde musulman médiéval (oriental, musulman et arabophone) au monde hispanique (européen, chrétien, roumanophone).
Le terme «morisque» désigne, par conséquent, les individus d’un groupe social bien déterminé à l’époque moderne pour distinguer des autres musulmans bien que l’étymologie illumine l’origine très complexe de ce mot.
La moriscologie comme champ scientifique : ses éléments.
La moriscologie est la science ou partie de la science historique qui étudie les morisques, objet bien défini de cette science. Elle utilise pour sa recherche divers éléments des sciences historiques en général, avec des sources et méthodologies variables et complémentaires pour une connaissance plus large et sûre des morisques dans la réalité de leur société et temps. La moriscologie compte actuellement (ndlr : en Espagne) plus d’une centaine de chercheurs qui publient les résultats de leurs travaux dans les différents champs de ces domaines scientifiques.
D’une part, elle éclaircit le fondement des connaissances que nous avons sur les morisques basées sur la science et la recherche actuelles, D’autre part, elle introduit le spécialiste dans l’engrenage scientifique du travail de l’investigation qui se réalise dans ce champ scientifique pour qu’il puisse éventuellement participer dans l’investigation de nouveaux thèmes dans une de ses parcelles.
Sources pour l’étude des morisques
Les sources ou documents sur lesquels se base la connaissance scientifique propre de la moriscologie sont, essentiellement, les mêmes que toute autre recherche scientifique sur l’histoire des 16e et 17e siècles. Il est aussi utile de rappeler certaines grandes catégories de documents qu’utilisent les moriscologues ou chercheurs en moriscologie pour le fait de se distinguer pour certains de leurs aspects spécifiques.
Les documents les plus volumineux sont évidemment l’archivistique dans une société telle l’hispanique du 16e siècle aux importantes structures administratives et l’abondance de supports écrits. Les morisques, comme parte importante de la société espagnole de l’époque, figurent dans toute catégorie de documents archivistiques, archives étatiques, ecclésiastiques, municipales, notariales, etc. Elles sont localisées spécialement dans les zones où les morisques étaient nombreux (Andalousie, Valence, Aragon, Estrémadure, Castille y Léon, Castille-La Manche et Catalogne). Les archives du tribunal de l’Inquisition se caractérisent par leur richesse compte-tenu de la présumée dissidence religieuse de nombreux «chrétiens nouveaux moros». Ces archives et les documents les accompagnant renferment une multitude d’informations sur les aspects de leur vie: économiques (propriété, production, fiscalité, etc.), militaires, religieux, culturels et sociaux en général.
Il y a aussi des textes narratifs de tout genre qui apportent des informations sur les morisques ; textes littéraires de l’époque (œuvres de théâtre, nouvelles, etc.,) ; documents qui émanent des morisques eux-mêmes; documents internes de la communauté islamique ou déclarations aux chrétiens enregistrées dans les archives de l’Inquisition. Les textes religieux pour l’usage interne de ces musulmans étaient écrits en arabe ou en langue romane bien que cette dernière était transcrite en arabe ou en latin, dénommée littérature aljamiado-morisque, d’une singulière valeur pour les sciences des morisques. Il y a aussi les sources archéologiques ou restes de la culture matérielle morisque qui sont rares aussi bien en Espagne qu’au Maghreb. Ce qui est certain est que tous les documents, en proportions diverses, se trouvent aussi bien en Espagne que dans d’autres pays européens et pays musulmans (Maroc, Niger, Algérie, Tunisie, Libye, Egypte, Turquie).
La découverte de nouvelles sources relance constamment la recherche en moriscologie qui, en réalité, s’appuie surtout sur des méthodes scientifiques modernes pour interpréter ces documents et y extraire de nouvelles informations.