Itinéraires interdits

«Itinéraires interdits», ou le terrible sort prédestiné de l’immigré subsaharien

portada-Itineraires-interdits Itinéraires interdits«Depuis ce jour, je me vois noir avec un cœur blanc. Depuis ce jour, j’ai enfourché mon destin vers l’inconnu», lit-on dans l’avant  propos de «Itinéraires interdits», un récit bouleversant de Chahreddine Berriah, journaliste à El Watan (Algérie) sur la question des migrants clandestins.

Sorti en mai dernier en France, aux éditions Le chasseur abstrait (collection Lettres Terres), le récit devait, à l’origine, s’intituler «Sans ordre de mission». Il était attendu en 2008. Chahreddine, a accompagné en clandestin des migrants subsahariens de Gao, au Mali, jusqu’à Melilla. En cours de route, il a séjourné dans un camp informel de migrants à Maghnia, puis à Oujda, avant d’échouer en terre ibérique… sans ses compagnons. Le récit s’ouvre sur un événement tragique : l’assassinat de Aïssa le borgne, alors qu’il tentait de franchir l’ultime rempart le séparant de la terre promise. «Une balle retentit de nulle part et mit douloureusement à terre Aïssa le borgne (…) Du haut du mur de fer qui s’élevait continuellement vers le ciel grisâtre, Maria exécutait discrètement le signe de croix (…) Un pet sonore ébranla les fesses squelettiques de Aïssa qui, dans un ultime râle, rendit l’âme. Le borgne ne pouvait rendre meilleur hommage à une civilisation qui venait de l’accueillir dans une sépulture sans épitaphe».

Mêlant fiction et réalité, fol espoir d’une vie meilleure et folie des hommes, cet opus (110 pages) retrace l’expérience vécue par l’écrivain-journaliste algérien au contact des communautés subsahariennes massées le long de l’oued Jorgi, célèbre camp d’apatrides situé à 4 km de Maghnia, sa ville natale, à la frontières algéro-marocaine. Pour quelques-uns, la route va s’arrêter à Oued Jorgi, un no man’s land disposant de son propre souk érigé au milieu de taudis crasseux séparés par l’avenue Montrou. Ils s’y installent, font des affaires – parfois louches –, intègrent les réseaux de passeurs pour quelque temps. Si l’occasion se présente, ils peuvent aussi tenter de passer en Europe. Pour tous, l’objectif est d’atteindre le vieux continent, en premier l’Espagne par le Maroc : ils prennent la route de Nador, vont jusqu’à Benaissar et, de là, traversent à la nage (300 à 400 m) pour atteindre l’enclave de Melilla.

Dans «Itinéraires interdits», qu’il a mis une année à écrire d’une manière irrégulière, Chahreddine Berriah nous  raconte comment son destin a changé de trajectoire suite à un reportage réalisé au Mali sur les migrants clandestins. Alourdi de ses bagages – en fait des à priori, des stéréotypes et autres conjectures -, il emprunte, dès le départ, des chemins détournés pour arriver à destination. «Je me souviens encore de ce jour», dit-il. C’est l’amour, l’humour et la mort qu’il va trouver. C’est aussi son identité d’Africain et de maghrébin. C’est pour lui, le chétif au teint basané, le début d’une histoire invraisemblable, intimiste, que nous font découvrir Camara le bossu, Malien musulman, Eva, l’Ethiopienne Falachas et Abdoullay le Camerounais. Tous ont fui leurs gouvernants respectifs, la misère, les guerres ethniques et les injustices d’un continent faussement solidaire. Bref, une plèbe ne jurant que par le départ vers le nord, aussi loin que possible. Tout au long de la lecture, au fil des pages, l’humour caustique de l’auteur se fond dans les entrailles nauséabondes du camp Jorgi où violence, haine et discrimination intracommunautaire écrasent des êtres déjà fortement désemparés. ·En abandonnant leur terre natale, leur destin devient prédestiné, programmé et dramatique. L’épilogue est toujours incertain. L’odyssée s’achève finalement sur la rive sud de la méditerranée à la lisière de la dernière barrière avant de faire le dernier saut vers El Eldorado rêvé ou plus concrètement l’inconnu.

La mort cruelle de Camara, tué par des Nigériens pour avoir rouspété devant le spectacle d’une femme nue, marque une fracture entre communautés et précipite le départ de ceux qui ont la malchance d’appartenir à la minorité. Commence alors un voyage vers l’inconnu avec comme compagnons de route Maria la Béninoise et Aïssa le borgne. Puis la traversée tumultueuse des territoires de l’Est marocain à destination de Melilla. Ce voyage, pour «partir», Chahreddine Berriah va le vivre de l’intérieur. «Depuis ce jour, je me vois noir avec un cœur blanc. Depuis ce jour, j’ai enfourché mon destin vers l’inconnu», revéle-t-il. Il invite, à travers ce récit poignant, le lecteur à prendre conscience de l’extrême détresse qu’éprouvent des milliers de déracinés en quête de liberté et de justice. Une détresse encore d’actualité. En somme, un récit haut en couleurs et court, qui se lit goulûment. L’ouvrage, qui est disponible en France et au Maroc, le sera prochainement en Algérie. L’auteur prévoit d’organiser une «offre dédicace» à… l’oued Jorgi, à Maghnia (Algérie).

L’auteur a confié à l’auteur, lors d’un entretien à bâtons rompus en marge d’un atelier à Dakar sur le traitement médiatique des questions migratoires, en septembre 2012, ses profondes préoccupations pour les grands et désordonnés flux d’immigrés subsahariens vers le Maghreb. La condition humaine de l’immigré s’est convertie en un thème qui revient le plus souvent dans ses écrits. Il l’a démontré durant un reportage commun que nous avions réalisé ensemble dans la banlieue sud de Dakar, un district impitoyablement châtié par la misère, le déficit en infrastructure et haut taux de chômage. Sa population ne cesse de panser ses blessures à la suite de la disparition de plusieurs centaines de ses hommes dans des naufrages de pirogues sur leur route en direction des Iles Canaries. Prenant avec avidité des notes durant la rencontre avec des acteurs sociaux, Chahreddine avait déjà en tête le projet de rendre hommage dans ses prochains écrits aux mères et épouses dakaroises victimes de l’immigration dite irrégulière. Son livre est un cri d’un révolté qui aspire à attirer l’attention sur un des grands problèmes de l’Afrique, l’émigration de la jeunesse du continent vers l’inconnu.

Mohamed Boundi
Periodista, doctor en sociología y ciencias de la comunicación de la universidad Complutense de Madrid. Corresponsal en España desde 1987, es licenciado en periodismo, investigador en ciencias sociales, opinión pública y cultura política. Publicaciones: “Marruecos-España: Heridas sin cicatrizar”, un estudio sobre la imagen de Marruecos y sus instituciones en la opinión pública española en momentos de crisis; “Sin ellas no se mueve el mundo”, un trabajo de terreno sobre la condición de las empleadas de hogar inmigrantes en España; “La mujer marroquí en la Comunidad autónoma de Madrid: convivencia y participación social”.

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