La malédiction de la pirogue pour la société dakaroise

Le disparu est tout d’abord défini comme celui dont l’absence s’est produite dans des conditions qui mettent sa vie en danger sans que son corps ait été retrouvé, comme lors d’un incendie ou de naufrage d’embarcation, par exemple, a indiqué à Albayane Amsattou Sow Sidibé, ministre-conseiller du président de la république Sénégalaise, Macky Sall. « Même si nous savons que cette personne est disparue, nous ne pouvons dire qu’elle est décédée », a expliqué le ministre-conseiller qui est également professeur agrégée titulaire de la chaire de Droit privé à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. « Si au bout des procédures et enquêtes enclenchées, le corps n’a pas été retrouvé, le juge peut prononcer son décès », précise-t-elle avant d’expliquer que toute personne intéressée peut présenter une requête au procureur de la république qui, à son tour l’adresse au tribunal de Dakar s’il s’agit de disparition à l’extérieur ou au tribunal départemental dont relève le lieu où s’est produite la disparition. « C’est le jugement déclaratif du décès qui doit fixer la date de la mort en déterminant les circonstances dans lesquelles avait disparu la victime », a précisé le ministre-conseiller notant que « dans ce cas, la succession de la personne est ouverte ». Par contre, lorsqu’il s’agit d’ « absence », la déclaration du décès ne peut être faite que dans un délai de 10 ans, a expliqué Amsattou Sow Sidibé qui s’était présentée au premier tour des élections présidentielles de février dernier au Sénégal.

Les femmes sénégalaises dont les époux ont péri aux naufrages de pirogue recourent à la procédure relative à la disparition qui est la plus courte et la plus souple que celle statuant sur l’absence du conjoint. L’article 100 du Code de la Famille stipule que le mariage ne peut prendre fin que par le décès de l’un des époux ou par le divorce. La disparition exprime une incertitude quant à l’absence de cadavre. Par contre, l’absence traduit une situation dans laquelle le conjoint présent n’a pas de nouvelles fournies par l’autre. Dans ce cas, l’alinéa 2 de l’article 22 du Code de la Famille signale que seul « le jugement déclaratif d’absence permet au conjoint de demander le divorce pour cause d’absence ».

Au plan religieux, la charî’a s’est penchée, dès l’avènement de l’islam sur la condition de la femme dont l’époux a disparu. De ce fait, l’auteur a dû recourir à l’avis du célèbre prédicateur sénégalais à la station radio RFM, Oustaz Morthiam, qui n’avait pas hésité à assurer que selon la sunna, la femme peut se remarier six mois après la disparition sans nouvelle de son époux. Toutefois, il a précisé que la charî’a dispose que tous les moyens soient déployés pour retrouver la trace du mari disparu dans la mesure où il existe au préalable un consentement mutuel pour qu’il y ait un contact permanent à travers la communication. Sans se démarquer du Code de la Famille, Oustaz explique qu’en cas de disparition, il faut épuiser tous les moyens possibles de recherche en coordination avec les ONG, les autorités consulaires et la société dans son ensemble. Passés quatre ans et faute de résultat concluant, la femme peut ainsi se remarier. En tout cas, précise le prédicateur, le dernier mot revient au juge du tribunal qui prend la décision d’interrompre la relation matrimoniale suite à la demande du père de la femme. En cas de réapparition du mari après la proclamation par le tribunal du jugement déclaratif du décès, la femme aura alors le libre choix de refaire sa vie ou continuer avec la vie matrimoniale antérieure, observe le prédicateur Oustaz, qui est également animateur d’émissions religieuses. La loi cherche d’autre part la meilleure solution qui serait favorable aux enfants.

En cas de disparition du mari, l’annulation du mariage doit toujours être résolue entre familles avant de demander l’avis du juge. A ce niveau, la société fait le possible pour éviter l’interruption du mariage et écarter l’option du divorce, explique Moctar Ba, un expert en sociologie juridique. Elle est prise en considération une durée de viduité en conformité avec la charî’a. Si la femme est en grossesse, le délai est plus long et sera clos après l’accouchement. Si elle n’est pas enceinte, la loi (et la chari`â) fixent un délai de prudence de quatre mois et dix jours. Sur la base de l’ordonnance délivrée du juge, la femme décide de la manière de refaire sa vie. Le problème peut se poser au niveau de la restitution de l’héritage, note Moctar Ba.

Ceci revient au fait que le comportement à l’égard du disparu varie d’une femme à l’autre, soutient le sociologue qui fait allusion à « des personnes qui résistent et ont la capacité d’étouffer la douleur ». En tout cas, observe-t-il, « tout dépend de la manière dont le disparu traitait son épouse ». Généralement, la réaction de la société est imprévisible à l’égard de ce type de veuve du fait qu’elle « peut être acceptée comme elle risque d’être rejetée par son entourage ». Son avenir est tributaire de son statut social et professionnel au même titre que le futur et l’éducation de ses enfants. Le sociologue explique l’option favorable au remariage à trois niveaux : culturel (remariage entre parents), religieux (acceptation du destin en tant que musulmane) et promotionnel (souci de la recherche du bien être et du bonheur des enfants).

Après les drames sociaux causés par la disparition de maris en quête du bien-être à l’autre rive de la Méditerranée, la fièvre d’Eldorado espagnol a diminué car, affirme Aissatou Ndiague de l’ACRAFT, « il n’y a plus de pirogues qui partent de Dakar ni plus de jeunes qui veulent partir et prendre le risque d’émigrer dans des conditions irrégulières ». Désormais, la société sénégalaise accepte avec résignation le nouveau statut des veuves de la mer. La plupart d’entre elles se remarient, d’autres préfèrent retourner chez les parents et panser en solitude la douleur de la séparation alors que leurs enfants sont le plus souvent pris en charge par les grands-parents ou admis à l’orphelinat. Dans un Etat musulman, l’esprit de solidarité intervient pour apaiser l’affliction, préserver la dignité de la personne et assister le plus vulnérable. Dans cette circonstance, la condition de la femme victime de l’immigration clandestine est assumée par l’ensemble de la société, y compris le législateur, en vue de lui redonner espoir en la vie.

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Mohamed Boundi
Periodista, doctor en sociología y ciencias de la comunicación de la universidad Complutense de Madrid. Corresponsal en España desde 1987, es licenciado en periodismo, investigador en ciencias sociales, opinión pública y cultura política. Publicaciones: “Marruecos-España: Heridas sin cicatrizar”, un estudio sobre la imagen de Marruecos y sus instituciones en la opinión pública española en momentos de crisis; “Sin ellas no se mueve el mundo”, un trabajo de terreno sobre la condición de las empleadas de hogar inmigrantes en España; “La mujer marroquí en la Comunidad autónoma de Madrid: convivencia y participación social”.

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