Il a fallu attendre près de quatre siècles pour pouvoir lire un essai intitulé : «Moriscos del reino de Granada. Ensayo de Historia Social» (1957), écrit par Caro Baroja sur les morisques et les «moros» pour que la conscience des historiens et intellectuels espagnols soit fortement secouée pour leur cécité et idéologisation des questions arabo-musulmanes.
Cet ethnologue, que les africanistes n’avaient pas pu domestiquer, avait déploré l’insuffisance d’une « pure historiographie sans philosophie de la culture » et avait violemment critiqué les historiens de son époque alors « polarisés entre maurophiles et maurophobes ».
Plusieurs décennies plus tard, la musicologue Luce Lopez Baralt a soutenu que le thème des morisques « est sorti dans la rue ». Les milieux scientifiques devaient lutter durant des décennies pour sensibiliser les chercheurs à la nécessité de placer l’interprétation de la question morisque dans le cadre de l’historiographie professionnelle afin d’éviter « l’idéologisation et l’amateurisme, sujet facile des passions politiques adverses et favorables ». Cette préoccupation de la part des scientifiques se justifie par la pénurie en études approfondies sur les coutumes et style de vie des morisques, y compris au Maroc. Grace à certaines tentatives dans le monde académique avec la publication d’essais d’histoire sociale, « le morisque a cessé d’être l’objet de généralisation en se profilant comme un véritable problème historique ». Il s’agit en fait d’une reconnaissance pour une nation qui a été gommée de la péninsule ibérique par décret pour des raisons idéologiques et religieuses. L’appel à la publication en Espagne d’études sérieuses sur ce thème est aussi une manière de « se réconcilier avec les héritiers des morisques, résidents depuis des siècles dans les pays du Maghreb ».
Les attitudes ne se concordent pas. Dans tout ce qui se publie en Espagne sur les morisques, est dicté par des sentiments, perceptions subjectives et intérêts. Il suffit de se référer, dans ce contexte, à un expert en opinion publique, José Maria Perceval, auteur d’une thèse de doctorat (Sorbonne, 1993) sur « Les archétypes de la xénophobie et du racisme autour du cas des morisques espagnols ».
Perceval résume en peu de mots les polémiques autour de la question morisque en relation avec l’histoire politique d’aujourd’hui. Selon lui, les morisques sont étudiés parce qu’on éprouve une sympathie à l’égard d’un groupe opprimé, ou parce que l’on intente de démontrer leur incapacité d’intégration. Ils sont aussi étudiés, poursuit-il, parce qu’ « on désire une Espagne dialogante ou parce qu’on a l’angoisse que le pays se dissolve ou se métisse en perdant sa pureté originelle ».
Loin des disputes entre intellectuels et attitudes intéressées, l’élément morisque qui a traversé des siècles revêt en outre des valeurs humaines et de rapprochement entre les descends des musulmans d’Al Andalous qui furent forcés d’abandonner leur terre. Comme l’a bien reconnu González Alcantud (2011), dans un essai intitulé “Andaloussis au Maroc : entre le mythe, la distinction culturelle et l’implantation patrimoniale », il faudra voir les morisques comme « une condition positive de pluralité » qui pourraient se constituer en un des «ancrages les plus sûrs et les plus solides avec les élites urbaines fières de leur héritage andaloussi » au Maghreb.
Les morisques demeurent dans la mémoire collective au Maghreb particulièrement au Maroc comme l’expression douloureuse de la nation arabo-musulmane. Loin de toute considération d’ordre émotif, ils avaient dû endurer toutes les couleurs de terrorisme religieux et d’avilissement avant de se plier aux exigences de l’église, et par la suite, accepter d’être déportés et arrachés de leur terre. Accepter d’être morisque n’était guère une capitulation collective. Les morisques avaient lutté durant plus d’un siècle en clandestinité pour préserver la fidélité à leur confession, coutumes et style de vie.
Parmi les sérieux travaux de recherche, dignes d’être lus en cette matière, il est de justice de citer « Etre morisque. Définition d’un archétype », de Manuel Barrios Aguilera, inséré dans un dossier spécial intitulé « l’Inquisition, mémoire de l’infamie » paru en 2004 dans la revue Andalucia en la Historia.
La figure historique du morisque (lire également Albayane, 14 juillet: « Le drame des morisques une entorse à l’histoire humaine ») naît à l’origine de la dernière défaite des musulmans jusqu’à ce moment étaient des mudéjars, selon leur statut émanant des Capitulations du royaume de Grenade de 1491, signés entre les rois catholiques et Abouabdillah). Cette défaite était intervenue á la suite d’une insurrection au quartier Albaicin, fin 1499, et postérieurement dans des zones montagneuses et endroits au royaume de Grenade à cause de l’intolérance du Cardinal Cisneros et des abus et exactions des autorités espagnoles. La générale conversion et les capitulations qui les ont accompagnées interviennent entre 1500 et 1502. La Couronne d’Espagne avait, par décret du 12 février 1502, ordonné définitivement « ou la conversion ou l’exil ». A partir de cette date, est né le statut morisque qui est dans un sens plus propre signifie, rappelle-ton, « chrétien nouveau moro, converti de moro ou nouvellement converti ». C’est dans le champ religieux que le morisque avait fait montre d’une ferme résistance. C’est là aussi où l’église s’est acharnée le plus contre lui.
La réalité du morisque suppose le crypto islamisme, c’est-à-dire, qu’il se montre publiquement chrétien mais l’immense majorité se maintient secrètement musulmane en faisant ses pratiques religieuses, rites et traditions loin des vues des chrétiennes. Ni l’écoulement du temps, ni les circonstances adverses ne diminuèrent l’exaltation religieuse et la fidélité à la loi coranique de la majorité des néo-convertis. Ils ont ainsi résisté jusqu’à la « solution finale » suite à la mise en pratique d’un décret du roi Felipe II.
Dans la vie sociale, la “famille morisque” occupe le premier plan avec un important élément différentiel en comparaison avec la vieille famille chrétienne. C’est une famille conjugale, de dimension similaire à celle des chrétiens mais vit groupée sous le même toit avec des maisons et une seule porte donnant sur l’extérieur.
Le régime alimentaire morisque était déterminé par le milieu géographique hispanique et méditerranéen et les préceptes de l’islam avec la prohibition du porc et du vin, et, une très stricte consommation de la viande d’autres animaux. Ils consommaient énormément de jus de fruits et du poisson et fruits de mer.