Les vents de la division au Moyen-Orient soufflent sur les musulmans d’Espagne
Jamais les musulmans en Espagne n’ont été autant exaspérés en un mois de Ramadan que cette année. Il est désormais incommode sinon pénible d’entabler un dialogue cordial avec un fidèle sans mentionner l’enfer que vivent les peuples arabes.
Les volcans endormis qui couvaient dans la région du Moyen Orient ont finalement craché leurs flammes qui risquent d’embraser l’ensemble du monde arabe. Si les opinions divergent au niveau des capitales arabes concernant la Syrie et l’Egypte, cette perception est palpable au sein de la communauté musulmane en Espagne. Les désaccords surgissent au grand jour entre partisans et adversaires du régime syrien ou des frères musulmans en Egypte du fait que la communauté musulmane d’Espagne est érigée en tant que tour de Babel ou comme une Ligue des Etats Arabes en miniature.
Forte de 1.671.629 fidèles, selon le recensement officiel des citoyens musulmans au 31 décembre 2012, cette communauté assume avec stoïcisme sa double condition de collectif ignoré aussi bien par la société d’accueil que par son représentant officiel, le corps diplomatique musulman. Répartie entre plus d’une quarantaine de nationalités, elle est majoritairement composée de marocains (783.137 : 47%) et d’espagnols convertis et musulmans naturalisés (513.942 : 30,7%). C’est une communauté disparate, victime de grands clivages idéologiques et culturels et aux prises avec de grands (et véritables) problèmes de la vie quotidienne. A titre d’exemple, la communauté marocaine détient le triste palmarès du plus haut taux de chômage (39%) en comparaison avec le taux de chômage des étrangers (36,53%) et national (27,16% au 1er trimestre). Les musulmans sont aussi plus préoccupés par les conséquences de la crise économique en Espagne que le reste des collectifs d’étrangers. Ceci s’explique par le fait qu’ils proviennent de régions affectées par de délicates crises politiques (Palestine, Syrie, Egypte, Irak ou Libye) et économico-sociales (Pakistan, Afrique subsaharienne et Maghreb).
Le récent rebondissement de la crise politique en Egypte a fortement divisé cette communauté. En écoutant les débats improvisés de fidèles à l’entrée des lieux de prière, du Centre Islamique de Madrid (Mosquée M-30) ou d’Abou Bakr (quartier Tétouan), il est aisé de relever que l’élément religieux domine avec force les arguments des intervenants. C’est un discours imprégné d’idées fondamentalistes qui penchent vers les positions des «frères musulmans». Tout autre argument est banni dans ces cercles.
La théorie de la «Spirale du silence» de la sociologue allemande Elisabeth Noëlle-Neumann pour comprendre le processus de formation de l’opinion publique, est pleinement justifiée dans ce genre de débat. Il est impossible d’avancer un argument contraire à ceux de la majorité dans un débat dominé par des pro-frères musulmans, ou ceux dits fondamentalistes et intégristes. Sur la base d’entretiens à bâtons rompus de l’auteur avec certains des adeptes de ces courants, il ressort que leurs discours versent dans la prédication pour prêcher la foi musulmane et la vertu. Dans un message latent, il existe l’intention de soutenir toute position contraire à la laïcité dans un Etat de droit qui privilégie le dialogue multiculturel, le brassage social et la liberté de confession. Dans leur conception, le fiqh (ou la jurisprudence islamique) est l’affaire de tout musulman.
De ce fait, la mission des animateurs de ces débats se propose comme une action pédagogique qui consiste à enseigner les préceptes fondamentaux de l’islam à des musulmans. Cette attitude conduit inéluctablement à des accords qui surgissent entre les différentes tendances quand chacune tente de faire sa propre interprétation de la char`â et de la sounna en l’appliquant aux événements qui secouent le monde arabe. Dans ce type de débats, il n’y a plus de place à la raison. Les résonances provoquées par les volcans qui remuent la Syrie, l’Egypte et l’Irak secouent ainsi les composantes de la communauté musulmane en Espagne. Les concepts de solidarité, d’humilité et de concorde entre musulmans, qui doivent régner en ce mois de Ramadan, cèdent malheureusement la place aux esprits réfractaires, obstinés et opiniâtres. De part leur attitude, ils ne rendent service ni à la communauté, ni à la foi ni à la convivialité entre toutes les composantes de la société où ils vivent.