Colonialisme médiéval en Méditerranée Occidentale

Le gouvernement espagnol a ravivé, cet été, le dossier de Gibraltar le plaçant dans une stratégie diplomatique pour forcer le Royaume Uni à relancer le dialogue sur le futur du Rocher. Pour Madrid, il s’agit d’une question coloniale ; pour les britanniques, le respect de la souveraineté des gibraltarien est imprescriptible. A l’autre rive du Détroit, Sebta, Melilla et les ilots adjacents occupés par l’Espagne vivent la même situation de manière que le dossier des colonies en Méditerranée occidentale doit être traité dans un esprit pragmatique par les trois capitales (Rabat, Madrid et Londres).

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La conjoncture est différente de l’époque où l’occupation des territoires outre mer était une nécessité pour l’expansion des empires européens. Dans ce contexte, Gibraltar, Sebta et Melilla ont un dénominateur commun puisqu’ils partagent le même statut de territoires occupés depuis plusieurs siècles.

En enclenchant une agressive campagne diplomatique comme conséquence du nouvel incident entre des pêcheurs andalous d’Algesiras et les autorités de Gibraltar, l’Espagne a omis d’ouvrir en même temps un débat avec son voisin, le Maroc, sur la souveraineté sur Sebta, Melilla et l’archipel des Iles Jaâfarines.

Est-il donc opportun de relancer le dossier colonial en Méditerranée Occidentale ?

Le traitement de ce dossier a cessé d’être en Espagne un thème tabou à tel point que dans un récent éditorial (11 août), le quotidien El Pais avait mis en garde Madrid contre le risque de remuer le dossier territprial. « Si un jour Londres accepte un accord sur la rétrocession de Gibraltar, comme l’avait fait concernant Hong Kong en appliquant le critère territorial, le Maroc reposera sûrement la question avec les soutiens dont il dispose au plan international et dont il manque aujourd’hui», a observé le journal madrilène. La revendication de la souveraineté sur Gibraltar n’est jamais passée inaperçue pour la diplomatie marocaine. Curieusement, la diplomatie espagnole a saisi un incident entre les pêcheurs de la baie d’Algesiras et les autorités gibraltariennes pour mobiliser sa machine diplomatique à l’échelle internationale alors que Londres et Madrid appartiennent au même groupement régional (Union Européenne), partagent les mêmes intérêts économiques et stratégiques (G20) et sont unis par une coopération militaire (OTAN). Certes, le contentieux territorial entre le Maroc et l’Espagne est le plus vieux et le plus délicat dans les relations bilatérales. La relance du dossier de Gibraltar a pourtant coïncidé avec la visite officielle du roi Juan Carlos 1 er au Maroc (14-17 juillet) qui était intervenue, selon des sources officielles espagnoles, en « un bon moment pour les relations militaires qui ne cessent de progresser dans les domaines économique, social et culturel ». Ce qui est aussi certain est que la diplomatie espagnole n’avait pas informé de sa stratégie son homologue marocain.

En plein débat sur la démarche à suivre par la diplomatie espagnole, des voix ont rompu le silence pour établir des parallèles entre le statut de Gibraltar et celui des villes de Sebta et Melilla, ce qui corrobore le changement de mentalité concernant le débat autour des territoires espagnols au Nord du Maroc. Il s’agit d’une prise de conscience d’une question qui envenime les rapports entre les peuples marocain et espagnol en dépit de l’attitude figée de certains cercles nostalgiques d’une époque révolue de l’histoire humaine.

Il a fallu aussi se rendre compte de l’attitude des britanniques qui considèrent que le cas de Gibraltar peut être aisément comparé à la situation de Sebta et Melilla. Pour certains médias madrilènes, les revendications espagnoles sur Gibraltar et l’escalade de tension dans la baie d’Algesiras ont ranimé le conflit avec le Royaume-Uni et pourraient inciter le Maroc à « reprendre sa vieille revendication de la souveraineté sur Sebta et Melilla » (El Pais). Le leader de la Gauche Unie espagnole, Cayo Lara, a accusé lors d’une conférence de presse (26/08/2013) Mariano Rajoy de vouloir dévier l’attention de l’opinion publique espagnole des grands problèmes auxquels est confronté son gouvernement en provoquant un hypothétique conflit avec le Royaume Uni.

Ce qui est intéressant à contempler dans le nouveau bras de fer Madrid-Londres est l’attitude pondérée qu’observe le Maroc qui applique la vieille doctrine anglaise « sitting and waiting ». Ce sont, cette fois, des milieux espagnols et anglais, qui s’érigent comme observateurs actifs. A titre d’exemple, le quotidien britannique The Telegraph décrit le conflit hispano-britannique avec des termes révélateurs en qualifiant « Sebta et Melilla de Gibraltar africain de l’Espagne ». Le journal établit une comparaison entre les trois territoires aussi bien au plan géographique, qu’historique et politique. Cette comparaison devient vient incontournable eu égard aux multiples points de similitude entre eux. Dans les deux cas, ces territoires sont « des bases militaires et navales dominées par des montagnes fortifiées, sont habités par des populations métissées mais unies par une fervente loyauté à la couronne et au pays dont la capitale se situe à des centaines de kilomètres de distance », explique The Telegraph. Sebta a été occupée en 1580 et Melilla en 1497, c’est-à-dire à une époque où les guerres des croisades étaient menées tous azimuts contre le monde musulman. Gibraltar est passé sous la couronne britannique en 1713 à la suite de la conclusion du traité D’Utrecht avec les rois d’Espagne. Contrairement à la situation de Sebta et Melilla, arrachées de force du Maroc, il est notoire de signaler que ce traité dit que « le roi catholique d’Espagne, en son nom et celui de ses héritiers et successeurs, cède par le biais de ce traité à la Couronne et la Grande Bretagne la pleine et entière propriété et la forteresse de Gibraltar, ensemble en compagnie de son port, moyens de défense et fortifications qui lui appartiennent ». Cependant, les actuelles autorités de Sebta et Melilla optent pour la politique de l’autruche qualifiant Gibraltar de « colonie » et Sebta et Melilla d’ « autonomies » avec une représentation parlementaire. Ce statut d’autonomie, qui date seulement de 1995, a été adopté par le Parlement suite aux fortes pressions exercées par le Parti Populaire sur le dernier gouvernement de Felipe Gonzalez dans une transaction politique en un moment où les socialistes étaient à leur crépuscule. Avec l’octroi par le Parlement espagnol de statuts d’autonomie aux deux villes, rappelle-t-on, les relations entre Rabat et Madrid étaient entrées dans une interminable spirale de conflits (immigration, pêche, conflit de Toura/Laila entre autres).

Ce qui est aussi à retenir, il est logique qu’à chaque fois que des conflits surgissent entre l’Espagne et Gibraltar sur la souveraineté sur « Le Rocher », les comparaisons deviennent « inévitables » entre la colonie britannique et les villes de Sebta et Melilla. Bien entendu, les autorités locales des deux villes occupées continuent de véhiculer de fausses vérités historiques arguant, par exemple, que celles-ci avaient été colonisées « bien avant la création de l’Etat du Maroc ».

L’histoire démontre le contraire

Durant le protectorat (1912-1956), les barrières douanières posées à l’entrée de Sebta et Melilla étaient restées intactes pour faire la différence entre le système politique des deux villes et la situation exceptionnelle imposée de la part du colonisateur dans le Nord du Maroc. Après quelques années de indépendance, le Maroc vait déposé en 1961 auprès des Nations Unies le dossier de ses territoires encore occupés pour réclamer leur rétrocession. Par la suite, le Maroc avait placé le contentieux territorial dans le cadre d’une stratégie visant à éliminer tous les résidus historiques, allusion faite à la présence coloniale à Sebta, Melilla et Gibraltar. Dans cette démarche, le Maroc a décidé que le futur de Sebta et Melilla soit traité conformément à l’évolution des négociations que l’Espagne envisage de mener avec le Royaume-Uni concernant Gibraltar. Dans ce contexte, le défunt roi Hassan II avait également proposé en janvier 1987 la mise sur pied d’une « cellule de réflexion sur le futur de Sebta et Melilla », composée d’experts et d’hommes politiques d’Espagne et du Maroc dans l’objectif de parvenir à une solution acceptable par les deux parties. L’initiative fut, bien entendu, rejetée par l’ancien gouvernement socialiste de Felipe Gonzalez.

Déjà, dès l’indépendance du royaume, le régime franquiste avait promulgué un décret du 21 mars 1958 relatif à la nouvelle configuration de Sebta et Melilla signalant, en prévision de toute revendication marocaine, que les deux villes sont « partie importante de la partie ». Ceci signifie que le régime de Franco voulait que Sebta et Melilla recouvraient leur statut d’avant 1925. Dans un autre décret, en date du 21 aout 1965, le gouvernement espagnol avait créé la direction générale des régions et provinces africaines chargée de la gestion des affaires du Golfe de Guinée et des provinces de l’Afrique Occidentale groupant Sidi Ifni, le Sahara et les places de souveraineté de Sebta et Melilla.

Jusqu’à 1965, la promulgation de ces décrets témoignait de l’attachement du franquisme à la mentalité coloniale. Cependant, à la suite de la récupération par le Maroc de Tarfaya (1958), Sidi Ifni (1969) et du Sahara (1975), seules Sebta et Melilla, colonisées depuis l’expansion croisade aux 15e et 16e siècles, demeurent occupées. Malheureusement, la même mentalité persiste encore en dépit de la disparition du général Franco il y a quatre décennies. La Constitution de 1978, adoptée durant la transition démocratique, n’a pas posé en termes clairs le statut juridique de Sebta et Melilla devant l’absence de consensus entre les partis politiques sur cette question. D’ailleurs, les socialistes et communistes, qui appuyaient la rétrocession au Maroc de la souveraineté sur Sebta et Melilla et l’archipel des Jaâfarines, ont fait marche arrière dès que les négociations eurent commencé avec les autres forces politiques sur l’élaboration de la nouvelle constitution de 1978 pour éviter une réaction imprévisible de la part de l’armée. En face, l’extrême droite leur avait violemment réagi en 1976 contre toute tentative de se retirer des deux villes occupées.

Durant les deux dernières décennies, les relations maroco-espagnoles ont été ponctuées de moments de tension à cause particulièrement des revendications marocaines sur Sebta et Melilla. En face, l’Espagne ne cesse de renforcer sa présence au nord du Maroc aussi bien au niveau législatif qu’économique et social. Apres avoir réussi à intégrer dans la société espagnole les habitants d’origine marocaine à partir de 1986 soit par l’octroi de la carte d’identité nationale soit par l’attribution de la nationalité, les deux principaux partis politiques, Parti Populaire et Parti Socialiste Ouvrier Espagnol, se sont mis d’accord sur l’attribution du statut d’autonomie aux deux villes. Outre ce statut adopté le 13 mars 1995 par le Parlement, les deux forces politiques ont conjointement entériné de nombreuses initiatives tendant à accorder aux assemblées autonomes des deux villes des compétences similaires à celles des régions autonomes de l’Espagne. Ils comptent également les intégrer au régime douanier européen pour qu’elles deviennent des frontières extérieures de l’Union Européenne.

Pour toutes ces raisons, les forces politiques marocaines réagissent à chaque fois que la question de l’intégrité territoriale est soulevée. L’incident de Gibraltar constitue ainsi une nouvelle opportunité pour rappeler que les résidus historiques du colonialisme doivent être extirpés dans toute la zone de la Méditerranée occidentale dans une approche d’entente pour en faire un havre de coopération, de complémentarité et de paix.

Mohamed Boundi
Periodista, doctor en sociología y ciencias de la comunicación de la universidad Complutense de Madrid. Corresponsal en España desde 1987, es licenciado en periodismo, investigador en ciencias sociales, opinión pública y cultura política. Publicaciones: “Marruecos-España: Heridas sin cicatrizar”, un estudio sobre la imagen de Marruecos y sus instituciones en la opinión pública española en momentos de crisis; “Sin ellas no se mueve el mundo”, un trabajo de terreno sobre la condición de las empleadas de hogar inmigrantes en España; “La mujer marroquí en la Comunidad autónoma de Madrid: convivencia y participación social”.

1 COMENTARIO

  1. Son dos casos muy distintos, ya que Gibraltar está muy distante de Reino Unido y su ocupación tiene que ver con la Guerra de Sucesión al trono en 1707, además de ser usado por Inglaterra como base geopolitíca internacional por su ubicación en una de las dos bocas de entrada al Mediterráneo. Por lo que se refiere a Ceuta y Melilla guardan vinculos históricos y geográficos con Al-Andalus «La España» Andalusí, parte integra del Califato de Cordoba en 931, en 1031 parte de la Taifa de Malaga, 1232 toma efimera con la Taifa de Murcia etc., https://fr.wikipedia.org/wiki/Ceuta . Si hablan en serio a este punto, entonces deberíamos hacernos la pregunta de retrocesión de la Turquía Europea a las huestes Europeas de Grecia y Bulgaria que ya hicieron su llamado durante la repartición que se hizo después de la segunda Guerra Mundial y que los dejó sin su reclamo.

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