Journalistes et médias d’Espagne, les autres grandes victimes de la crise

Durant l’exercice de 2013, qui est sur le point de s’éteindre, le rythme de destruction de l’emploi dans le monde des medias en Espagne s’est poursuivi au moment où des dizaines d’entreprises de presse et de l’audiovisuel se sont vu obligés de déposer le bilan.

Portada-Informe-periodistas Journalistes et médias d’Espagne, les autres grandes victimes de la crise«La situation demeure grave, dramatique mais il existe encore de l’espoir de voir moins de journalistes en chômage».  C’est le vœu lancé par les auteurs du rapport annuel de la profession journalistique – 2013, présenté jeudi dernier par l’Association de la Presse de Madrid (APM).

En repassant la chronologie des mouvements sociaux survenus dans le marché du travail, le lecteur a l’impression qu’après le secteur du bâtiment, celui des journalistes et professionnels des médias est le plus affecté par la crise depuis 2008. Comme les sentences judiciaires, les chiffres sur la destruction de l’emploi et la fermeture de médias sont inapelables et invitent à une sérieuse réflexion sur le futur de ce métier qui exige le plus de souffrance, de patience et de sacrifice. C’est pour cela qu’il est catalogué de «métier de chien». Réputés pourtant pour leur dévouement à la lutte pour les droits humains, les professionnels espagnols admettent désormais avec stoïcisme et pragmatisme une nouvelle réalité selon laquelle certains de leurs collègues sont amenés à accepter d’exercer sans contrepartie pécuniaire. D’autres, qui refusent d’assumer le statut de chômeur, investissent leurs économies dans le lancement de nouveaux médias online. De nombreux journalistes continuent cependant de défendre les valeurs classiques du journalisme bien que la critique et les exigences se soient relativement relâchées devant certaines pratiques qui étaient, jadis, blâmées et rejetées.

La grande hécatombe

L’année 2013 va être citée comme étant la plus destructrice de l’emploi mais aussi celle qui a connu le plus de fermetures de médias. Jusqu’à fin novembre dernier, les données recueillies par l’Observatoire des médias de la Fédération des Associations de Journalistes d’Espagne (FAPE), les rapports des organismes officiels relevant du ministère de l’emploi et des gouvernements régionaux, 4.434 postes d’emploi dans les médias de communication en Espagne ont été détruits. Uniquement avec la fermeture de la Radiodiffusion Télévision Valencienne (RTV), 1.680 employés ont été bonnement remerciés suite à une décision prise par le gouvernement régional valencien sous prétexte de stopper l’hémorragie budgétaire et réduire les dépenses publiques.

Par médias, 535 postes d’emploi détruits dans la presse écrite ; 2.824 dans la télévision ; 351 dans les revues ; 313 dans les corporations de groupes de communication ; 6 dans les publications gratuites ; 332 à la radio ; 64 dans les journaux électroniques, et, 9 dans les agences de presse.

Si l’on prend en considération la période comprise entre le 2e semestre de 2008 (début de la crise) et 30 novembre dernier, 11.151 professionnels ont perdu leur emploi. Ce chiffre se répartit entre les télévisions (4.509 postes) ; 2.365 dans les journaux ; 1.438 dans les revues ; 1.161 dans les corporations de communication ; 630 à la radio ; 559 dans la presse gratuite ; 303 dans les medias électroniques, et, 186 dans les agences de presse.

Avec les dégâts collatéraux, d’ailleurs difficiles de comptabiliser, les effets de destruction des médias seraient encore plus douloureux. Dans les différentes statistiques relatifs à ce secteur, ne sont pas recensés les postes de travail disparus dans les autres aires de production tels les imprimeries, l’administration, la publicité, les services et personnel attaché à la rédaction.

S’agissant des entreprises de médias qui ont été emportés depuis 2008 dans la foulée de la crise, un total de 284 a cessé d’exister, dont 73 en 2013. Comme un tsunami, la crise a entraîné dans son sillage 182 revues, 31 quotidiens, 29 télévisions, 20 medias électroniques, 11 publications gratuites, 9 radios et 2 agences de presse. Ces chiffres, qui donnent du vertige, doivent être pris avec énormément de tristesse et de désolation du fait qu’ils concernent les professionnels d’un métier plus exigeant qui est en même ingrat et qui ne fait jamais de riches.

Numéros officiels du chômage

Selon le service officiel de l’Emploi (SEPE), 10.560 journalistes sont inscrits comme chômeurs jusqu’à septembre 2013, soit une hausse de 1% par rapport à 2012. Bien qu’il apparaisse un petit indice, il faut prendre en considération qu’entre 2008 et 2013, le chômage de journalistes avait augmenté de 132%. Sur ce total, il y a 6.661 femmes (63%) et 3.899 étaient des hommes (37%).

Ceci intervient en une période (2008-2012) où sont sortis des facultés 13.800 licenciés en journalisme auxquels il faut ajouter 10.951 licenciés en communication audiovisuelle. En 2012, ce sont 2.909 étudiants qui ont obtenu leur licences et 2.109 sont devenus de nouveaux communicateurs audiovisuels. Au total, 5.016 nouveaux professionnels sont venus renforcer le marché du travail et sont en quête d’un emploi de journaliste. Depuis 1976, année (où est sortie de l’université espagnole la première promotion de journalistes), jusqu’à 2012, se sont licenciés en journalisme 77.832 étudiants. La majorité a préféré exercer la profession pour laquelle a été formée.

Nouveaux medias lancés par des journalistes

Selon le Rapport Annuel de la Profession Journalistique de 2013, ont été créés 265 médias d’information et d’autres 35 projets journalistiques mis en pratique par des journalistes depuis 2008. Cette donnée révèle la nouvelle situation que traverse le journalisme en Espagne qui, en dépit de la crise, démontre qu’il existe encore une offre en matière de l’information. C’est un nouveau phénomène professionnel qui revêt une importance significative pour l’ensemble du collectif des journalistes dans la mesure où ce segment se développe dans un environnement concret fortement marqué par une crise structurelle à laquelle s’ajoute une crise économique de caractère conjoncturel. Ceci démontre aussi, selon le même rapport, que cette initiative se justifie particulièrement par l’existence en abondance d’instruments technologiques et s’appuyant sur leur propre expérience. De ce fait, signale la même source, sur les 300 médias, il y a 40% qui ont opté pour la société limitée, 19% pour leur statut de travailleur autonome. Selon une enquête menée par les auteurs du même rapport auprès de 1.600 journalistes en relation avec les formules de financement prévues pour les nouveaux médias, près de 60% ont confiance en la publicité comme principale source de revenus. D’autres espèrent bénéficier de patronages, micro-mécénat ou vente d’applications et autres produits informatiques.

L’industrie des médias

La crise économique a eu pour conséquence un imparable processus de transformation économique et sociale provoquée par la digitalisation de la société et l’expansion de l’internet. L’actuelle crise du secteur est le résultat de ce double processus. Pour s’en rendre compte, il est utile de jeter un coup d’œil sur la comptabilité des médias. Entre 2008 et 2012, les recettes de l’industrie espagnole des médias de communication (télévisions, radios, journaux et revues) ont baissé de 31%. Les quotidiens sont le média qui a perdu le plus de revenus (-32%). La radio a également souffert de la crise (-21%). Les recettes de l’industrie ont régressé de 11% entre 2011 et 2012, soit le pire indice après celui de 2009 (-15%). A cette chute, il faut aussi ajouter les réductions décidées par le gouvernement dans les budgets de l’Etat concernant la communication institutionnelle qui, entre 2007 et 2012, a diminué de 62% (-82% de la publicité institutionnelle et -36% la commerciale des entreprises publiques). La variation 2012-2013 est de 2% (- 7% de la publicité institutionnelle et 6% la commerciale).

Les recettes des groupes de communication (Prisa, Antena 3, Telecinco-Mediaset, Vocento, Godo, Zeta et Unidesa) ont diminué de 5,52 milliards d’euros avec un résultat d’exploitation de -594 millions d’euros.

La diffusion de journaux (non gratuits) a chuté de 25% entre 2008 et 2012 marquant une perte de 1.873.228 exemplaires (par jour). La baisse de la diffusion de 2011 à 2012 s’est située à 12% avec une perte quotidienne de 396.296 exemplaires. Des quatre journaux gratuits, qui existaient depuis 2008, il n’en reste qu’un seul en 2012 (20minutos). Entre 2011 et 2012, ce segment de presse écrite a connu une perte de 685.745 exemplaires.

La diffusion des revues a également diminué de 17% entre 2008 et 2012 avec une perte de 976.566 exemplaires. En même temps, les recettes publicitaires se sont réduites de 53% entre 2008 et 2012 et de 18% entre 2011 et 2012.

En face, les medias électroniques demeurent encore en phase de décollage. D’ailleurs, l’investissement publicitaire en ces moyens a baissé de 8% de 2011 à 2012. Durant la période allant de 2008 à 2012, ce secteur avait pourtant réalisé une croissance en matière publicitaire de 134%.

Le panorama des médias espagnols et de leurs professionnels, qui peut être considéré comme une radiographie d’un malade loin de la récupération, est celui d’une Espagne en pleine mutation et d’un marché de travail en restructuration. Avec un taux de chômage de plus de 26% de la population active, tous les agrégats de la comptabilité nationale sont concernés. La récupération économique est tributaire de la création de l’emploi.

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