Mohamed Boundi
Les effets de la crise les plus apparents en Espagne sont détectés au marché du travail avec près de six millions de chômeurs, dans le secteur du bâtiment qui stagne depuis 2007, et, dans la baisse des recettes du trésor à cause de la fermeture de milliers d’entreprises. Cependant, la crise a aussi contribué au dépeuplement du pays à cause de la réduction de la population étrangère mais surtout de l’émigration des nationaux.
C’est un phénomène nouveau que vit l’Espagne alors que durant les douze ans de prospérité économique (1995-2007), elle était citée comme un centre de convergence des grands courants migratoires dans le monde. Aujourd’hui, ce sont les jeunes cadres, formés à coup de milliards d’euros, qui préparent la valise en quête d’une opportunité de travail à l’étranger. C’est le renversement d’une tendance à laquelle personne ne s’attendait il y a une décennie puisque toutes les prévisions tablaient sur un besoin moyen annuellement de plus de 300.000 travailleurs étrangers jusqu’à 2.050 pour faire fonctionner la machine économique.
Il ne s’agit pas de supputations ni de déductions pour meubler un article de presse. C’est une évidence qui se base sur des données concrètes et fiables rendues publiques mercredi par l’Institut Espagnol de la Statistique (INE) faisant état de 114.413 espagnols qui ont abandonné le pays en 2012, un chiffre qui est d’ailleurs en hausse de 6,3% par rapport à 2011.
Pour déterminer cette donnée statistique, il a suffi de repasser les registres démographiques tenus aux municipalités et consulats qui distillent les mouvements des résidents, aussi bien nationaux qu’étrangers. Au 1 er janvier 2013, ont été recensés 114.413 nouveaux espagnols résidents à l’étranger pour atteindre un total de 1.931.248 personnes. Ce chiffre est similaire à ceux enregistrés dans les années 60 lorsque la main d’œuvre espagnole était très sollicitée en Europe. Toutefois, les conditions de travail ainsi que le profil de travailleur recherché ont changé depuis.
Compte tenu de la répartition géographique, il ressort que 62,9% des espagnols à l’étranger sont installés en Amérique, 34% en Europe et 3% dans le reste du monde. Contrairement à certains articles de presse, peu documentés, le Maroc ne représente pas encore une destination prioritaire pour les immigrés espagnols. Sur les 114.413 nouveaux immigrés recensés l’année dernière, 81.757 se trouvent en Amérique et 28.441 autres éparpillés sur le continent européen. Pour davantage de détails, il y a eu uniquement 911 nouveaux résidents espagnols dans toute l’Afrique qui en compte un total de de 16.618.
Ces statistiques interviennent un peu plus de deux mois et demi seulement après celles rendues publiques par l’INE, le 16 janvier, faisant état de la baisse de la population étrangère en Espagne de 15.229 membres par rapport à janvier 2011 pour se situer à 5.736.258 personnes. Ceci peut avoir un lien avec les départs volontaires des immigrés mais aussi avec l’octroi de la nationalité espagnole aux résidents étrangers. Depuis 1999 jusqu’à septembre dernier, 740.444 étrangers sont devenus espagnols, selon le ministère de la justice. Uniquement en 2011, les espagnols par naturalisation ont été de 114.597.
L’Espagne a toujours été une terre de migrants surtout au 20 e siècle. Plusieurs dizaines de milliers d’espagnols étaient venus s’installer au Maroc durant le protectorat sur le nord du royaume mais les grandes vagues de migrants devaient commencer pendant la guerre civile et durant le régime franquiste. Selon les études réalisées par des universitaires espagnols, plus de 2,6 millions d’espagnols, dont deux millions à partir de 1960, avaient émigré à destination des pays industrialisés d’Europe (France, République Fédérale d’Allemagne et Suisse surtout) pendant la période comprise entre 1945 et 1973.
En 1977, en pleine transition démocratique, il y avait encore 400.000 espagnols repartis entre les différents pays européens. Entre 1960 et 1973, d’autres études signalent un million d’espagnols formant partie de l’émigration assistée en Europe, c’est-à-dire organisée par des instances officielles. Ce chiffre devait être le double si sont pris en compte les migrants par des canaux non officiels, estiment certains chercheurs espagnols.