Les études se sont multipliées sur l’émigration espagnole depuis le début de la crise économique en 2007.
En dépit l’abondante littérature sur ce phénomène qui affecte les citoyens d’un pays, devenu grande destination des migrants internationaux dans les années 90, rares sont les études empiriques qui dressent une réelle radioscopie des immigrés espagnols.
De récentes enquêtes peuvent être retenues comme source de référence pour comprendre le profil de l’espagnol qui décide d’émigrer, les destinations préférées et la durée du projet migratoire. Curieusement, les immigrés espagnols paraissent eux-aussi victimes de certains préjugés comme ceux dont souffrent les étrangers venus s’installer dans leur pays. L’analyse des statistiques démographiques et enquêtes relatives à l’émigration espagnole aident à appréhender certaines vérités concernant ce renversement de tendance. D’abord, ce ne sont pas les seuls chômeurs qui quittent le pays mais il y a des licenciés universitaires, ingénieurs et économistes. Il s’agit d’une immigration sélective et hautement qualifiée se traduisant par une fuite de cerveaux. Ensuite, les espagnols quittent le pays en quête de perfectionnement de leur expérience professionnelle. Enfin, le projet migratoire a une date de caducité du fait que les émigrés comptent regagner le pays dans un délai généralement inférieur à cinq ans.
En repassant ces trois idées, il est clair qu’il s’agit d’une immigration conjoncturelle dans l’attente de voir décoller l’économie nationale. Elle est aussi différente de l’immigration économique (provenant des pays en voie développement) à destination de l’Espagne et des puissances économiques en général. De même, le projet migratoire est conditionné par les résultats des réformes mises en marche par l’actuel gouvernement de Madrid. Autre observation de taille : certains grands pays émetteurs d’immigrés en Espagne se sont érigés en une destinée préférée des immigrés espagnols, tel l’Equateur qui avait accueilli en 2012 le plus important nombre de travailleurs espagnols.
S’appuyant sur sa propre base de données, ASEMPLEO, l’association leader de prestation de services professionnels d’emploi (créée en janvier 2013) qui groupe la majorité des entreprises du travail saisonnier et agences d’embauche de travailleurs, signale dans une récente étude que le nombre d’immigrés espagnols a doublé depuis 2007 et que l’Equateur et le Royaume-Uni sont leurs principales destinations. Uniquement en 2012, ce sont 56.392 espagnols qui s’étaient fait la valise pour prospecter de nouvelles opportunités de travail hors des frontières nationales, soit 6,7% de plus qu’en 2011. Moins de 50% (26.968) se dirigés vers des pays européens, principalement au Royaume-Uni (6.351), la France (5.454), l’Allemagne (4.392), la Suisse (2.839) et la Belgique (2.335). Toutefois, 40% d’entre eux ont préféré se rendre en Amérique (24.256) alors que l’Union Européenne n’en a accueilli que 22.876. Sur l’ensemble des destinations, l’Equateur qui a accueilli le plus d’immigrés espagnols (6.425) se place bien avant les Etats-Unis (3.961) et l’Argentine (2.069).
L’Equateur s’est distingué par la large campagne d’accueil d’espagnols hautement qualifiés et le retour de ses citoyens après avoir obtenu la nationalité espagnole à l’issue de leur résidence dans ce pays.
Le profil de la majorité des 56.392 immigrés espagnols recensés en 2012, est celui d’une personne en âge de travailler (16-64 ans), soit 70% d’entre eux. Dans ce contexte, il y avait 15.111 personnes âgées de 25 à 34 ans et 11.893 autres âgées de 35 à 44 ans. Depuis 2007, le groupe d’âge 35 – 44 ans a augmenté de 144%. Il est suivi de celui de 45 – 54 ans qui a progressé de 140,6% alors que le groupe 16 – 24 ans a enregistré une hausse de 96,7%. Le groupe 25 – 34 ans est celui qui a le moins progressé (60,3%).
Une autre enquête menée dans quatre pays des plus affectés par la crise économique en Europe révèle que 50% des espagnols qui ont émigré depuis 2008 l’ont fait « faute d’opportunité d’avenir » dans leur pays. Dans le détail, 30% étaient au chômage mais 44% affirment avoir l’intention de retourner dans le pays dans un délai supérieur à cinq ans. C’est le résultat auquel est parvenue après dépouillement de 7.077 questionnaires (dont 1.182 en Espagne) une enquête sur l’émigration réalisée à l’instigation de quatre centres de recherche en Italie (European University Institute), en Espagne (Royal Institut Elcano), au Portugal (Université de Lisbonne) et en Irlande (Trinity College de Dublín).
Outre le chômage et parmi les autres causes qui incitent à l’émigration, 32% des espagnols interviewés souhaitaient améliorer leur formation, 27% vivre une expérience ou une nouvelle aventure, 14% à cause des bas salaires ou la mauvaise qualité de vie, 6% suite à une offre d’emploi à l’étranger par leur propre entreprise et 6% pour garantir un meilleur avenir pour leurs enfants.
S’agissant du profil de l’immigré espagnol, il est surprenant de constater que 71% des immigrés espagnols travaillaient au moment de cette enquête alors que 6% étudiaient et 11% seulement cherchaient un emploi. Autre donnée à retenir est que 91% des immigrés espagnols avaient fini leurs études universitaires, 31% sont ingénieurs, 17% proviennent de l’économie et gestion d’entreprises et 15% des sciences sociales. De même, 32% parmi eux comptent rester à l’étranger entre un et cinq ans et 30% plus de cinq ans dans le pays d’accueil.
Toutefois, des données puisées dans le Recensement des Espagnols Résidant à l’Etranger (PERE), auxquelles a eu accès Albayane, aident à démonter certains préjugés lorsqu’il s’agit d’aborder les mouvements actuels de l’immigration d’origine espagnole. De ce fait, selon le PERE les individus de citoyenneté espagnole résidant hors de l’Espagne se divisent en six groupes. Il s’agit de 1.075.000 anciens immigrés espagnols qui se sont rendus au 20e siècle en Amérique Latine, et leurs descendants et de latino-américains qui ont émigré en Espagne et obtenu par la suite la nationalité avant de retourner dans leur pays. En Europe, il y a aussi 606.000 anciens immigrés espagnols et leurs descendants. Aux Etats-Unis et dans le reste du monde, sont recensés 97.000 anciens immigrés espagnols et leurs descendants. Il existe également 105.000 immigrés qui ont accédé en Espagne la nationalité de ce pays et ont regagné par la suite leur pays d’origine. Depuis 2009, ont été recensés 20.000 espagnols nés en Espagne qui ont émigré vers d’autres pays européens et 7.000 vers des pays latino-américains. Enfin, le PERE fait état de 13.000 espagnols, nés en Espagne qui ont émigré vers les Etats-Unis et le reste du monde. Dans l’ensemble, les espagnols nés en Espagne et qui ont émigré depuis 2009 représentent uniquement 2% de l’ensemble des espagnols résidant actuellement à l’étranger.
Dans une étude, publiée en septembre dernier dans le bulletin du Royal Institut Elcano, la chercheuse en Démographie, Population et Migrations, Carmen González Enriquez observe que la société espagnole a été, contrairement à certaines analyses, « exceptionnellement immobile » depuis le milieu des années 70 lorsque la crise du pétrole avait mis fin à la vague migratoire entamée dans les années 60. S’appuyant sur les données du PERE et des statistiques puisées dans la Office for National Statistics (Royaume-Uni), de la Statistisches Bundesamt (Allemagne) et de International Migration Outlook de 2013, reprise par l’Organisation pour la Coopération et le Développement Economique (OCDE), elle observe que, en comparaison avec d’autres pays européens, la mobilité de la population espagnole était très réduite y compris entre provinces depuis les années 80.
La société espagnole est “en définitive localiste » pour le fait qu’il est prioritaire pour la majorité de rester à côté des parents et des amis, soutient-elle. Ce « sédentarisme » peut expliquer « l’alarme actuelle qui est difficile de comprendre en rapport avec les chiffres réels » de l’immigration espagnole, remarque l’étude. Eu égard à ces chiffres, qui « paraissent fiables », le nombre d’espagnols nés en Espagne qui résident actuellement à l’étranger a seulement augmenté de 40.000 personnes depuis le début de la crise, soit moins de 0,1% de la population espagnole. Ce qui est, d’autre part, certain est que malgré la baisse de 152.000 habitants de la population immigrante depuis 2009, il y a encore 6.466.000 étrangers qui vivent en Espagne, soit plus que le triple du total des citoyens espagnols vivant dans d’autres pays. C’est un autre préjugé à démonter. A titre d’exemple, dans les principales destinations de la nouvelle immigration espagnole post-crise comme l’Allemagne et le Royaume-Uni, le nombre d’espagnols en âge de travailler résidant dans ces pays est « très inferieur à celui des allemands et britanniques de même âge actif se trouvant en Espagne ». Il y a 320.000 allemands et britanniques âges de 15 à 64 ans en Espagne, face à 132.000 espagnols de la même catégorie d’âge dans les deux pays européens, selon l’Institut Espagnol de la Statistique (INE), citée dans la même étude. « L’exagérée attention attribuée à ce phénomène est explicable seulement dans une optique localiste qui considère comme drame tout départ à l’étranger pour des raisons professionnelles ». Peut-être faudra-t-il changer l’optique et se demander pourquoi ne sont-ils pas très nombreux ceux qui décident entreprendre la recherche de meilleures conditions salariales et de vie dans d’autres pays, lit-on dans la conclusion à laquelle est parvenue cette étude.