La persistance de la crise économique en Espagne, la croissance du déficit des gouvernements régionaux et la perte d’audience ont précipité la fermeture de nombreuses télévisions régionales ou la réduction de leur personnel.
L’annonce, mardi, de la disparition de Ràdio Televisió Valenciana (RTVV), le groupe de radiotélévision régionale de Valence, a sonné le glas d’un modèle de télévision publique qui a été mis sur pied, il y a un quart de siècle dans un pays en pleine expansion économique, pour mettre en valeur les spécificités régionales.
Avec un budget de 880 millions d’euros et une audiencia de 8,6%, la télévision valencienne perd la bataille face aux télévisions privées dont le chiffre d’affaires et le nombre d’adeptes de leurs programmes battent des records. L’annonce de sa fermeture par le président de la Generalitat Valencienne (gouvernement régional), Aberto Fabra, relance le débat sur la télévision publique et le sort de 12 autres chaines régionales qui accumulent une dette de trois milliards d’euros. A titre d’exemple, la chaine catalane (TV3) est plombée par une dette d’un milliard d’euros. Celle de Madrid, qui vient de licencier près de 70% de son personnel, doit à ses créanciers 250 millions d’euros. Les autres télévisions régionales au Pays Basque, en Andalousie, en Aragon, aux Baléares, aux Canaries, à Murcie ou en Estrémadure vivent une conjoncture délicate.
La fermeture du Canal 9, la chaîne valencienne, risque de priver la population de la communauté valencienne, de leur petit écran dont les programmes sont présentés en valencien, l’idiome local reconnu comme co-officiel. Elle peut aussi constituer un précédent pour le reste des télévisions régionales dans un pays où le gouvernement central presse les gouvernements autonomes de réduire à zéro leur déficit.
Chiffres en main, le gouvernement valencien affirme que sa chaîne n’a plus de ressources pour continuer à fonctionner et qu’il a décidé de « fermer une télévision et non un hôpital » pour réduire le déficit public, comme disait jeudi son président Fabra. Avec cette mesure, a été mis fin à 24 ans de service d’une télévision qui emploie 1.670 travailleurs.
Les télévisons d’autres régions espagnoles sont sur le point de vivre la même situation du fait que leur sort dépendra de nombreux facteurs. La plupart d’entre elles sont accusées de favoritisme dans l’embauche du personnel, d’allégeance au parti au pouvoir (dans la région), de gaspillage et menace de privatisation d’un service public. D’ailleurs, l’actuel gouvernement conservateur en place (dirigé par le Parti Populaire) avait donné le feu vert, en avril 2012, aux gouvernements régionaux de privatiser les télévisions publiques et les exploiter selon leurs propres ressources techniques et humaines, dont l’externalisation et sous-traitance de certains services. Cette mesure a été dictée par la Loi de Stabilité visant à atteindre un déficit zéro, comme l’avait annoncé, la vice-présidente du gouvernement, Soraya Saenz de Santamaria, lors d’une conférence de presse à Madrid le 20 avril 2012. Le gouvernement a ainsi élabore la feuille de route pour les gouvernements régionaux en matière de gestion de la télévision qualifiant cette mesure de « difficile » mais « indispensable » pour garantir la durabilité du système économique. Il a entamé le processus par la rénovation du Conseil d’Administration de la Radiodiffusion-Télévision Espagnole (RTVBE – publique) en le réduisant de 12 à huit membres. Il a ainsi mis fin au modèle de télévision publique élaboré par l’ancien gouvernement socialiste de Rodriguez Zapatero il y a sept ans. Le 20 septembre dernier, le Conseil d’Administration de la RTVE, a adopté un budget à titre de 2014 prévoyant une baisse de 21,6% par rapport à celui de 2012, soit une réduction de 200 millions d’euros. « Les déséquilibres budgétaires entre les recettes et les dépenses » des télévisions publiques ne seront plus permises, avait mis en garde la vice-presidente du gouvernement, en avril 2012.
En dépit de la fermeture de la télévision valencienne, 12 autres gouvernements régionaux disposant de télévision publique se trouvent au pied du mur. Ils avaient engagé 882 millions d’euros pour maintenir en vie leurs télévisions alors que leur audience a baissé de 0,4% par rapport à 2012, selon la Fédération des organismes de radio et télévisions autonomes (FORTA).
Le débat sur la viabilité d’une télévision par région conduit à un dilemme selon lequel le citoyen est interpellé à choisir entre un canal de télévision propre ou à l’endettement. Il suffit de repasser la dernière mémoire actualisée en septembre des dettes des télévisions de la Catalogne (225 millions d’euros) pour s’en rendre compte : Andalousie (113 millions), Pays Basque (105 millions) ou la Galice (95 millions euros). Même les régions les moins riches telles les Asturies (20 millions), et Murcie (7,5 millions) sont amenées à injecter de l’argent public dans leur télévision. Bien que depuis 2010 les budgets des télévisions autonomes soient réduits de 30%, chaque citoyen continue de financer à hauteur de 21 euros par an la télévision dans sa région (contre 30 euros durant les trois précédents exercices), selon les calculs de FORTA. Ceci s’explique aussi par la baisse des recettes publicitaires du fait qu’en 2012, celles-ci avaient atteint 126,8 millions d’euros, contre 198 millions d’euros en 2011, signale Infoadex, l’organisme chargé du contrôle de l’activité publicitaire en Espagne, cité jeudi, par le quotidien gratuit 20minutos. Au premier trimestre de 2013, les recettes publicitaires de ces télévisions se sont réduites de 18,7% pour facturer uniquement 27,7 millions d’euros. Dans le cas de la Communauté valencienne, les pertes accumulées entre 2008 et 2011 se sont élevées à 812 millions d’euros auxquelles il faudra ajouter une dette financière accumulée de 1,126 milliards d’euros. En face, l’audience est passée de 20% à 4% du share.
L’autre exemple est apporté par la Catalogne. Le gouvernement autonome s’est engagé à garantir la survie de la Corporation Catalane des Medias audiovisuels (CCMA) qui groupe 2.571 travailleurs. Il a été amené, en 2012, à réduire le déficit de 7,5 millions d’euros, le nombre de correspondants et l’externalisation de services. Il avait également mis en marche un processus de départs volontaires qui avait affecté 225 travailleurs. En 2014, les salaires baisseront, malgré l’opposition des syndicats. Les recettes publicitaires atteindraient 57 millions d’euros, soit une diminution de 40% par rapport à 2010. Cependant, le gouvernement catalan compte injecter 225 millions d’euros dans un budget de 295 millions d’euros. Bien que la dette actuelle soit de 1,046 milliard d’euros, la télévision catalane a l’avantage d’être en tête des autres chaînes autonomes en termes d’audience avec un « share » (quote part d’audience) de 18%.
A Madrid, la télévision autonome, Telemadrid, court le même sort que son homologue de Valence. Le président régional, Ignacio González, avait admis récemment que la fermeture de ce canal est « une alternative » pour « être déficitaire ». Déjà, 861 travailleurs, sur un total de 1.176, ont été licenciés suite à l’application d’un programme de régulation de l’emploi. Sur Telemadrid, pèse également une dette de près de 250 millions d’euros, signalent des médias madrilènes citant des sources syndicales.
D’autres chaînes autonomes offrent un diagnostic similaire, telles Canal Sur de la Radio Télévision d’Andalousie qui compte 1.600 travailleurs et une dette de 133 millions d’euros ; la radiotélévision publique basque, Euskal Telebista, avec 969 travailleurs et un budget de 121,7 millions d’euros ; la télévision de Murcie doté d’un budget de 7,5 millions d’euros et fonctionne avec seulement 17 professionnels après le licenciement précédemment de 250 employés. Pour des contraintes d’ordre budgétaire, d’autres chaînes, sont sur la voie de la privatisation telles celles de l’Estrémadure, des Asturies, des Canaries, de Castille-La manche, de Galicie ou des Baléares.
En 2012, les 13 télévisions autonomes (dont la valencienne) que comptait l’Espagne, disposaient d’un budget global de 1,2 milliard d’euros dont 980 millions étaient puisés dans le trésor public. Ce budget, qui se situe en 2013 à 880 millions d’euros, représente une baisse de 40%.
La mise en régime et la situation de restructuration de la télévision publique en Espagne témoigne de l’acuité de la crise que traverse la plupart des secteurs productifs en Espagne. Les médias audiovisuels sont contraints de cesser de dépendre quasi-exclusivement de l’argent public.